C’est une lapalissade que de dire que le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, et son Premier ministre, Ousmane Sonko, sont traumatisés par la justice et tout ce qui lui est connexe : juges, procureurs, gendarmes, policiers, administration pénitentiaire, etc. Eux qui en ont subi les rigueurs jusqu’à deux semaines avant leur arrivée au pouvoir. Ils sont si traumatisés par la justice et ses auxiliaires que le premier secteur auquel ils pensent pour un coup de balai, c’est…bien évidemment la justice. Ainsi donc, le président de la République a ouvert, mardi 28 mai dernier, au Cicad de Diamniadio, un conclave où les maux de ce secteur seront, en une petite semaine, passés au crible. Et, à l’ouverture des travaux, il y avait du tout-venant : des magistrats, naturellement, des universitaires, des avocats et, comme un cheveu dans la soupe, des activistes de tout poils, des repris de justice. Ceci, au nom du principe constitutionnel qui dispose que «la justice est rendue au nom du peuple.»
Et c’est donc tout logiquement que chaque portion de ce peuple est admise à livrer son avis sur comment marche ce pilier central de l’Etat de droit. C’est la rançon de la démocratie. Seulement, la tonalité des interventions du premier jour laissait craindre que l’ont fît fausse route, en confondant «Assises de la justice» et procès de la justice. Sur ce, le casting des participants n’a pas été pour arranger les meilleurs termes de référence qui soient. Le Président Faye qui voyait venir cette glissade avait déjà averti qu’il ne s’agit ni de chasse aux sorcières, ni de «procès en inquisition», mais plutôt d’un «débat lucide» pour trouver «ensemble des solutions» aux problèmes de la justice.
Un recadrage qui, pour être plus utile, aurait dû s’accompagner d’un reprofilage des panélistes. Peut-être que les Pr Babacar Guèye, Isaac Yankhoba Ndiaye (Jacob) et le juge Amady Bâ, chargés de conduire les travaux, sauront corriger les impairs en mettant le filtre pour, en amont, faire comprendre qu’il ne s’agit pas de juger les juges dans leur travail, actuel, antérieur ou futur, et en aval, séparer la bonne graine de l’ivraie que constituent les saillies de grand’place et les verbiages des réseaux sociaux. Mais, également, rappeler aux auteurs de la commande que, au Sénégal, les juges ne sont pas élus ; ils sont nommés. Ils ne font qu’appliquer une politique, pénale notamment, définie dans les cabinets ministériels et validée par le législateur. Ce qui, déjà, prémunit d’un «gouvernement des juges» contre lequel a fort opportunément mis en garde le chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Faye. A la différence des élus, les juges n’ont pas de légitimité propre. Ils sont nommés et investis d’un sacerdoce dont ils s’acquittent au nom du peuple. Mais, en âme et conscience.
Par ailleurs, nous pensons -et là, c’est notre sentiment personnel- que dans l’ordre des priorités, les assises de l’économie devraient passer avant toutes les autres. Parce que ventre creux ne connait pas la justice. Sans empiéter sur les compétences de l’Ansd ou sur les statistiques judiciaires, nous pouvons dire, sans risque de nous tromper, que l’essentiel des personnes attraites devant les tribunaux pour faits de vol, agression, crimes, viennent des milieux défavorisés donc de milieux où on ne mange pas à sa faim. Aussi, ce ne serait que justice si on s’intéressait d’abord au pain quotidien des vaillants éléments du peuple avant de disserter sur leurs droits. Le premier des droits de l’homme étant le droit à vivre dignement et honnêtement, dans un environnement sain. Ce qui passe par des moyens de subsistance à portée de main.
La Chine, empire de plus d’un milliard d’habitants, où nous avons eu la chance, il y a plus de dix ans, de poser nos dix orteils, malgré les critiques qui lui sont faites, notamment par les Occidentaux, sur son régime et sur son rapport aux droits de l’homme ne s’en porte pas mal parce que portée par une économie qui, aujourd’hui, est la deuxième du monde voire la première. Les compatriotes du «camarade» Xi Jinping ne sont pas les plus heureux de la planète. Ils ne sont pas les plus malheureux, non plus ! Loin de moi l’idée de faire l’apologie de la dictature ou de caresser le doux rêve d’un «césarisme républicain» (tiens, tiens !!!). Mais, je pense qu’une bonne répartition des priorités placerait le pain …avant la justice. C’est mon intime conviction.