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Face À La PoussÉe Du Rassemblement National, Devant Son Miroir, La France Fustige Son Reflet

Une France qui hurle à la laideur face à son propre reflet dans le miroir. L’image ne serait pas exagérée pour décrire le mélange de sidération, de peur, d’incertitude et surtout de déni qui s’est abattu sur la France depuis le 9 juin, et davantage au lendemain des résultats du premier tour des élections législatives qui consacrent l’inarrêtable montée du Rassemblement national.

Pourtant, si on se cantonne à l’analyse des dynamiques internes de la scène politique française, la dissolution de l’Assemblée nationale semblait inéluctable. Dans un Parlement qui paraissait chaotique, avec une inclination particulière pour le conflit et le refus des compromis, émietté, soumis aux vents de forces contraires – pour ne pas dire factions –, le blocage institutionnel chronique rendait impuissante toute gouvernance. L’automne et le vote du budget semblaient constituer l’horizon naturel de la déflagration. Il s’agit donc d’une accélération du calendrier, que l’on doit au chef de l’État. L’opportunité et le timing de cette dissolution prononcée le 9 juin 2024 sont discutables. Ils peuvent être imputés, entre autres, au caprice vengeur d’un monarque impuissant et rejeté. Un président au crépuscule du pouvoir, dont l’état de grâce s’est dans un premier temps fané, pour ensuite totalement s’assécher, dans un entêtement coupable qui se prend en pleine figure le boomerang de la disruption à marche forcée.

Le pire des scénarios

Le rejet de la Macronie est clair, et la « grenade dégoupillée » – pour reprendre la formule d’Emmanuel Macron – a explosé. À bien des égards, c’est le pire des scénarios : un vote décomplexé à l’extrême droite, qui agrège le classique rejet de la colère et désormais la franche adhésion à un projet xénophobe d’une partie importante des Français. Ils constatent que les barrages successifs contre le rassemblement national lui ont pavé la voie vers le pouvoir. Score affolant aux européennes, sommets atteints pour les législatives, possibilité bien réelle sinon probable d’une majorité absolue au Parlement : l’évidence RN se dessine, et elle ne suscite plus une répulsion aussi franche et majeure. Avec le ripolinage express de son programme sur le front économique, les reculs notoires sur des projets phares, le RN semble moins agressif. En parallèle, il se dit que le dispositif constitutionnel peut a minima faire contrepoids voire différer la mise en œuvre du programme, contribuant à la perception d’une urgence moindre. Le sursaut populaire, participation en hausse comprise, a donc été timide, et la rue, relativement aphone, si on excepte quelques manifestations parisiennes ou urbaines. Cette apathie tranche avec un champ politique où les réactions ont fusé, poussant à des alliances contre nature sur ce qui s’apparente à un champ de ruines. Ces coalitions tentent de refonder un front républicain dont les fissures anciennes sont les fractures irréconciliables d’aujourd’hui. Le degré d’animosité politique, perçu dans la précédente législature, consacre une tripartition des blocs, avec une seule dynamique solide : le RN.

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Les ressorts du vote RN ont été documentés depuis longtemps, et la base de son électorat identifiée. Victimes de la mondialisation, déclassés, ruralité délaissée, embryon factieux avec les gilets jaunes, polarisation conspirationniste durant le Covid-19, rejet de l’immigration associée à l’insécurité et à une charge financière pour le pays, préférence nationale : toutes ces nuances du sentiment d’abandon restent un marqueur du vote RN. Fait nouveau, le RN n’effraie plus une certaine élite, et séduit de jeunes urbains, achevant ainsi sa mue de dédiabolisation. Le parti surfe dorénavant sur une vague dite de révolution conservatrice, qui prospère dans le monde, indépendamment des régions. De l’Inde à la Russie en passant par le Sénégal, une matrice forme le fondement commun de ce regain de conservatisme : le retour désiré et idéalisé à des valeurs anciennes, pour contrer un progressisme jugé comme élan de la perdition. Somme toute, c’était mieux avant. Revendication d’une fierté nationale menacée, au Nord par l’immigration, et au Sud par le néocolonialisme. Le tout accompagné d’un aspect plus incernable, un populisme qui procède par le déni et par l’attaque des élites jugées corrompues, légitimant ainsi une radicalité quasi-séditieuse.

Longtemps protégée grâce à la morphologie électorale des scrutins à deux tours et à leur propension à nourrir les barrages, la France se pensait invulnérable ou immunisée. Elle arrive désormais à un moment charnière où elle a épuisé tous les contournements, et ne peut plus différer l’échéance d’une clarification, dût-elle convier au pouvoir le RN. Dans cette dynamique, on ne peut faire l’économie d’évoquer trois responsabilités majeures – outre la force intrinsèque du parti des Le Pen. Celle d’abord du président, qui cristallise une haine aux pointes irrationnelles, laquelle déteint sur sa politique. Celle ensuite de la défunte Nupes, cornaquée par la France insoumise dont l’ADN politique révolutionnaire chemine imprudemment avec de franches outrances. Celle enfin des médias : l’inexorable croisade civilisationnelle de Bolloré et de son empire, mais aussi le registre moral voire moralisateur de médias de gauche qui assimilent tout à la droite extrême, dans une équivalence dogmatique.

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« La Tragédie du président », les manœuvres malhabiles de LFI

La responsabilité première du président est avant tout politique. La dynamique économique du pays sous l’air Macron est relativement défendable, même si la réduction du chômage et les succès réels sur ce front ont atteint un plafond, et que ce qui se présentait comme le talisman de la majorité lancée vers le rêve du plein emploi a alourdi la barque des déficits et des inégalités – sans parler des crises qui ont grevé sérieusement le budget. Au-delà de cet aspect économique, Emmanuel Macron traine depuis le début de sa présidence un boulet : une méconnaissance de la sociologie française, et une rupture originelle avec les classes les plus en difficultés. Sa présidence s’est très vite confondue avec sa personne, lui qui mobilise une grammaire disruptive, violente dans le symbole, rendant souvent inaudible toute potentielle bonne action. Si «la tragédie du président» est souvent inéluctable en France, cette réclusion précoce doublée de rejet personnalisé et personnel, signe la défaite d’un président à qui on ne pardonne pas sa déconnection, la nature fulgurante de son succès, et la désagrégation de repères politiques presque centenaires.

Si l’ovni qu’est la Macronie se désagrège du fait de ses propres apories, il serait pourtant bien réducteur d’attribuer à Emmanuel Macron seul la responsabilité de la montée du RN. La France insoumise (LFI) y a, elle aussi, beaucoup contribué. Avec une présence à l’Assemblée chahuteuse, belliqueuse, le groupe de Jean-Luc Mélenchon a donné par mégarde une contenance républicaine au RN, triste comparaison. Du fait de la conflictualisation extrême théorisée par Jean-Luc Mélenchon, les Insoumis ont parfois donné l’image d’un parti sectaire, avec des ambiguïtés notables sur l’Ukraine, entre autres. Le désir légitime d’une gauche et de son avènement a ainsi frayé avec certaines compromissions. LFI, portée par un mythe révolutionnaire bien français, a donné des forces à un RN qui apparaissait comme le parti de l’ordre. Au-delà de ces gages en termes d’image, LFI est devenue le parti fièrement assumé des quartiers populaires, y compris contre la France des périphéries – et ce malgré d’intenses tensions internes. Cette manœuvre bien malhabile a fini d’opposer des classes qui souffrent, et dont les votes sont désormais clairement antagonistes sinon hostiles : en délaissant les périphéries, LFI n’a fait que conforter le sentiment d’abandon qui porte le RN. La facilité accusatoire – racisme, antisémitisme, et autres qualificatifs fleuris – a fini d’hystériser le débat, et de rendre tout compromis impossible, dans une dynamique perpétuelle du « eux contre nous ».

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Entre invectives et propagande, l’impossible débat

Sur cette césure, le refrain médiatique s’est greffé, avec la reconfiguration du paysage et l’ascension de l’empire Bolloré. Cette nouvelle donne a déplumé ce camp de la raison que les médias incarnaient à bien des égards, laissant ainsi le débat à la merci des invectives et de la propagande. Il serait bien sûr malheureux de renvoyer dos à dos les médias droitisés et les médias de gauche et du centre. Il n’en reste pas moins que, dans cette séquence politique, l’examen de conscience de chacun manque cruellement.

Traversant le champ politique dans son entièreté, le champ médiatique, et de manière plus générale le champ intellectuel, le même venin est à l’œuvre. Une impossibilité de débat apaisé, de questionnement, de remise en cause, qui a littéralement disjoncté sous Emmanuel Macron. Avec ce tournant, amorcé depuis longtemps et qui s’accélère désormais, c’est une certaine idée de la France qui est en train de mourir. Sa grandeur, son exceptionnalité, ses droits humains. Toutes gloires nationales qui s’évanouissent. D’où ce déni, cette défausse. Le frisson du chaos est inconsciemment préféré à la nécessaire remise en cause. Il existe des boucs émissaires commodes. Si Macron est le premier appelé à la barre, il devra être suivi par toute la classe politique, médiatique et intellectuelle. Le deuxième tour à venir et la séquence politique qu’il enclenche ne sont que le reflet et le refoulé d’une faillite collective, qu’il est temps de regarder en face.







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