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J’ai Mauvais Gout Mais Je Me Soigne

J’ai Mauvais Gout Mais Je Me Soigne

Au début de cette semaine, nous arrive, sur la scène musicale, un petit bijou d’irrévérence, «Glow Up» (briller, en anglais) signé Ndakhté Lô, une jeune chanteuse que Sen P’tit Gallé révèle au public, il y a plus d’une décennie de cela. Ce concours de découvertes artistiques, qui se déroule habituellement pendant les vacances scolaires, est une diabolique manigance de Ngoné Ndour, la sœur de qui vous savez : c’est clair qu’il est destiné à dévoyer la jeunesse et perpétue le satanique système Lmd, lutte, mbalakh et danse, si vous préférez.

Il n’empêche, en moins de quarante-huit heures, le tube crève les plafonds avec 1, 2 million de vues sur YouTube

L’alchimie qui fonctionne ?

La charge est lourdement érotique, a du panache, servie par une plastique de rêve et une chorégraphie à damner un ayatollah. Ndakhté Lô n’est pas une femme brisée par l’épreuve et tient à le faire savoir à grands coups de reins rythmés dans une petite tenue sexy qui exhibe le ventre plat et le nombril à ciel découvert que la compagnie du voyeurisme effarouché «Sàm Djiko Yi» va bientôt considérer comme une atteinte à la dignité nationale.

La jeune artiste en a vu d’autres : tout le temps qu’elle participe à Sen P’tit Gallé, elle est encore une enfant quand elle doit passer outre la réprobation nationale, qui jure ses grands dieux que ce concours est en train de, euh, corrompre la jeunesse. Là, devenue une superbe femme accomplie, qui mène tambour battant carrière artistique et études supérieures, elle sort d’un échec conjugal qui fait l’objet d’âpres ébats de conciergeries sur les réseaux sociaux : à ma droite, ceux qui jouissent littéralement du malheur d’une jeune femme qui a le mauvais goût d’être bien trop chanceuse à leur avis… A-t-on idée d’être jeune, belle, célèbre, pétillante de santé et de sérénité, et se marier avec un homme qui clame partout être fou de vous ?

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Alors que vivote dans l’obscurantisme le plus opaque le peuple des pimbêches et des chipies qui se morfondent dans un humiliant anonymat et une insupportable indifférence générale, au point qu’elles ne savent pas trop quoi faire de leurs existences, en dehors d’enrager du bonheur des autres. La cruauté de leur sort en est contagieuse : c’est du venin qui se distille sur le web pour alimenter le bad buzz.

Et puis, à ma gauche, les autres : les rescapés de la pensée unique, qui se consolent avec les rares événements artistiques susceptibles de nous rappeler la liberté de créer, s’exprimer, s’indigner et se rebiffer face à une société indigène déterminée à s’enfoncer dans l’absolutisme inculte.

J’ai le mauvais goût d’être de ceux-ci.

Happé par un anachronisme de mauvais aloi, que tient en respect l’idée fixe que rien ni personne n’est au-dessus de la République, persuadé que le modèle d’homme accompli se nomme Léopold Sédar Senghor, auquel nous devons une Nation, une République et qui doit tout, lui, à sa bonne éducation, son savoir-vivre.

Lorsque les porteurs du «Projet» Pastef débarquent avec armes et bagages au Palais présidentiel, au nom de 54% des Sénégalais qui les plébiscitent, perso, j’ai cru qu’il y avait quelque part dans leurs valises, entre la vision économique et les perspectives diplomatiques, un regard limpide sur ce que doit être, comme ça se déclame si joliment dans les cercles putschistes, «une Justice rendue au nom du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple».

C’est fou : malgré toute l’armée de juristes déployés depuis 2021 pour sauver le soldat Sonko, qui allait du greffier en fuite à l’assistant de fac, en passant par la batterie des avocats à la touchante abnégation, oubli fâcheux, ils n’y ont pas pensé. En lieu et place, nous avons droit à une invitation sous l’arbre à palabres. Une trouvaille géniale, c’est de l’ironie, que Macky Sall expérimente à chaque fois qu’il s’égare dans le dédale de ses calculs politiciens foireux.

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Voilà pourquoi c’est avec de la commisération et du dépit qu’il nous faut bien constater la faillite des valeurs républicaines sans nous départir de notre sens de la tenue. Par exemple, assister, stoïques, à un cirque pitoyable : un «dialogue national» sur la Justice, qui est surtout une séance d’exorcisme mâtinée de psychanalyse où se bousculent les derniers Vip. Ces bons messieurs s’interrogent sur le pilier fondamental de l’Etat de Droit au lieu de se demander à quel moment ils sont devenus des hors-la-loi, des citoyens de seconde zone auxquels la société ne sait plus quel sort réserver, jusqu’à ce que la faune électorale les repêche.

Comment peut-on tomber si bas, au point de permettre à l’assassin d’un juge de donner des leçons de vertu à la Magistrature ?

Ça fait bien longtemps que nos compatriotes, en majorité, s’enfoncent dans la médiocrité. Chaque régime qui en remplace un autre arrive avec ses lubies : raboter la Loi fondamentale et tripatouiller les institutions censées les élever à la dignité humaniste de citoyens du monde.

La marche est toujours trop haute et il faut niveler par en-dessous, inlassablement.

Ça tire vertigineusement par le bas depuis bientôt quarante ans. Depuis qu’un certain Abdou Diouf dont la qualité première n’est pas le génie politique, au lieu d’élever haut la barre des acteurs politiques, a la bonne idée d’autoriser n’importe quelle canaille à prétendre diriger notre pays.

La démocratie, à ce que je sache, est une proposition de société sophistiquée que seule une élite de haute voltige est de taille à orchestrer… Autant la confiture n’est pas faite pour les cochons, autant la démocratie est l’affaire des peuples civilisés qui s’astreignent aux règles qui les grandissent.

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C’est ce même appel de l’abîme qui nous fait reconsidérer notre lien avec la France, une fantaisie qu’illustre Ousmane Sonko, alors opposant irascible : «la France doit ôter son genou de notre cou» tonne-t-il, du haut de sa splendeur. Ben, l’actuel Premier ministre des duettistes au pouvoir n’y est pas du tout : elle ne pose pas son genou, ni quelque autre membre que ce soit, sur notre cou.

Surtout qu’après avoir entendu Bassirou Diomaye Faye prêter serment en français devant les sept «Sages», je pousse le mauvais goût jusqu’à croire que la France est définitivement dans l’Adn de la République sénégalaise, à laquelle elle fournit une colonne vertébrale, sa Constitution, un outil de travail, sa langue et, snif, son mauvais esprit.

Mais, comme le dit avec une pointe d’insolence mon auteur préféré, un Français, ben oui, amateur de vin, auquel il consacre de superbes vers, cocaïnomane, épicurien complètement irresponsable, Baudelaire : «Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire.»







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