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Mbeubeuss, Une Bombe Sanitaire Et Environnementale Aux Portes De Dakar

Mbeubeuss, Une Bombe Sanitaire Et Environnementale Aux Portes De Dakar

Il y a quelques années, em­prun­tant régulièrement cette route en direction de Keur Massar, j’y apercevais un nuage de fumée épaisse. Au dire des gens, cette fumée provenait de l’incinération à ciel ouvert des ordures d’une décharge de proximité.

Ce que je raconte date d’un quart de siècle. Aujourd’hui, presque rien n’a changé. Je dirai même que la situation a empiré.

Par ce dimanche matin ensoleillé de début décembre 2017, j’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai vu ce que je pressentais au fond de moi-même. Ce que j’ai vu dépasse l’imagination. Sur ce site, point d’ensoleillement, un brouillard épais prend le dessus sur le soleil. Des images apocalyptiques, qui n’ont rien de virtuel, traduisent à, elles seules, la détresse émanant d’une gestion non optimale des déchets dans l’agglomération dakaroise.

Le site de Mbeubeuss s’étale sur plusieurs dizaines de kilomètres. Des tas ou des montagnes de déchets de toutes sortes s’étalent à perte de vue. Je suis toute étonnée de pouvoir y entrer sans aucun barrage. Pas de surveillants à l’horizon, pas d’administration. Ce site est en accès libre à tous… Pendant que je s’y suis, je note une activité soutenue des camions de ramassage d’ordures dans un va-et-vient incessant.

Dans cette vallée, j’observe une lagune avec de l’eau verdâtre bien visible en surface, et tout autour prospère une végétation d’une densité rare dans la région. Qu’il est beau de voir un espace vert de cette étendue, chose plutôt rare dans la région dakaroise, mais quel contraste !

La ville de Dakar a connu une urbanisation dense et dénuée de «ceinture verte». Dakar ne jouit pas d’un poumon vert. Cela pose déjà un préoccupant problème environnemental et sanitaire. Les arbres qui bordent cette lagune, ainsi que la mare verdâtre infestée de microbes, exposent la communauté au risque d’infiltration tant dans la nappe phréatique que dans les réserves d’eau de la ville de Dakar.

Très peinée de voir de jeunes gens jouant en toute innocence dans cet amas de saletés et de microbes, je me suis approchée d’eux pour les interpeller sur les dangers d’une présence sur ce site. En toute simplicité, ils m’ont répondu : «Nous habitons à proximité et c’est notre terrain de jeu favori.» Je n’étais pas au bout de ma peine en apercevant un peu plus loin des baraquements de fortune, et à leur proximité, des adultes fouillant inlassablement ces poubelles, en espérant y trouver fortune, alors que l’odeur nauséabonde y est irrespirable. Ma présence n’est pas souhaitée, ils me le font savoir d’un air très menaçant.

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Une chose m’a interpellée, ces «chercheurs d’or» n’avaient aucune protection, pas de gants, pas de masques, pas de bottes. Ils se servaient de leurs mains, de barres de fer ou autres matériaux de fortune ramassés dans ces immondices. Combien d’heures passent-ils par jour à respirer à plein poumon ce poison ? Il paraîtrait qu’ils vivent au milieu de ces ordures, ils s’y marient, ils y font des enfants. Leur sédentarisation dans ce site défie toutes les règles élémentaires d’hygiène et de sécurité.

Imaginez aussi tous les produits souillés récupérés par ces chasseurs de fortune et réinjectés dans le circuit parallèle qui seront la panacée de personnes défavorisées et favorisant un cercle vicieux des microbes et autres sources pathogènes ?

Une pléthore de questions se bouscule dès lors dans ma tête.

Quelle précarité ou situation d’urgences de survie pouvait motiver une vie aux alentours de cette gigantesque poubelle ?

Quel impact a ou aura cette pollution sur la santé de ces personnes ?

La fumée noire émanant de cette incinération des ordures pouvant contenir du cuivre peut faire des retenues au niveau des poumons, combien d’entre eux souffrent de bronchite, de cas de pneumonie et autres maladies respiratoires aiguës, ou sont atteints de problèmes dermatologiques, de cancers et n’auront certainement pas les moyens de faire face à toutes les pathologies qui les guettent ?

Comment peuvent-ils vivre à Mbeubeuss et ignorer tous les dangers auxquels ils s’exposent ?

Comment peuvent-ils ne pas comprendre que cette pollution est un vrai tueur silencieux ?

Quelle est l’espérance de vie de ces personnes en contact permanent avec ces ordures ?

Quid des personnes vivant dans les habitations avoisinant le site ?

Les impacts de cette décharge dépassent largement le cadre de Mbeubeuss et affectent la ville de Malika. En effet, elle est située en hauteur et il n’existe aucune zone tampon entre elle et les habitations. D’ailleurs, beaucoup de maisons sont en construction aux abords directs dudit site. Elles ne semblent d’ailleurs pas être de l’habitation spontanée, et mettent en exergue l’épineux problème du foncier à Dakar et dans sa banlieue.

Comment et pourquoi des personnes peuvent-elles faire le choix d’acquérir un terrain ou une maison à proximité directe avec ces obscénités ?

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Quelle irresponsabilité que de leur vendre des titres fonciers sur cette zone alors que le moindre bon sens aurait voulu qu’on déloge les populations déjà installées à titre préventif en attendant de trouver une solution durable à cette catastrophe écologique ?

Ne faudrait-il pas éloigner toute habitation selon un certain périmètre «tampon» pour réduire l’impact de cette pollution sur la population ?

La déchèterie ne doit-elle pas être une zone privée interdite au public, donc clôturée et soumise à contrôle pour tout accès ?

Sa gestion ne doit-elle pas être organisée pour une meilleure prise en charge du site pour un traitement optimal des déchets dans un cycle complet ?

A-t-on mené des études pour autoriser cette montagne de pollution dans cette zone de la lagune, infiltrant le sol et donc la nappe phréatique ?

A-t-on fait des études sur la recrudescence ou l’apparition de certaines pathologies qui seraient directement ou indirectement liées à cette pollution générée par ce site ?

Aucun doute n’est permis, toutes les populations des environs sont aussi très exposées à cette pollution et à ses nombreuses et non négligeables conséquences sur leur santé.

Jusqu’à un rayon de combien de kilomètres à la ronde peut-on être épargné par les radiations de cette pollution et des risques sanitaires qu’elle cause ?

Dans une ville comme Dakar, où la population ne cesse de croître, et les déchets générés par celle-ci avec, incinérer les ordures à ciel ouvert n’est absolument pas une option. Le problème de santé public que cela pose est plus qu’évident. La dégradation de l’environnement est totale et devrait préoccuper davantage les populations et les autorités.

Combien de décharges comme Mbeubeuss existent au Sénégal ? Combien de personnes sont touchées par cette pollution due à la mauvaise gestion des déchets au Sénégal ?

Aujourd’hui, il y a plus qu’urgence à désamorcer cette bombe sanitaire et environnementale avant qu’elle n’explose. Les solutions qui peuvent être mises à contribution passeront par une re-programmation mentale des populations et des autorités :

  • Le tri sélectif des ordures dans les familles pour un traitement plus efficace des déchets est une étape stratégique.
  • Un enfouissement technique n’est pas sans poser des problèmes, mais les nouvelles technologies permettent de minimiser leur impact sur l’environnement et la santé des populations.
  • La mise en place de biodigesteurs pour transformer certains déchets en biogaz tout en générant de l’engrais organique semble être une des meilleures solutions.
  • Fermer le site de Mbeubeuss et trouver une nouvelle implantation dans une zone privée isolée, éloignée de toute habitation, selon un certain périmètre tampon et interdite au public et imposer un port d’un équipement sécuritaire à ceux qui auront l’autorisation d’y accéder.

Je sais qu’il y a déjà eu beaucoup d’études sur le site pour mesurer les pics de pollution de l’air et des sols et de leur impact sur la vie des populations. Notamment, je peux citer un projet Crdi-Iagu, une étude sur plusieurs années de 2006-2010. Elle a été multidisciplinaire avec des médecins, environnementalistes, hydrogéologues et l’Uni­versité de Lausanne. L’une de leurs recommandations a été de délocaliser le site vers une zone éloignée des habitations. Il semblerait que les recommandations n’aient pas encore été mises en œuvre. Est-ce un manque de volonté des pouvoirs politiques ? Le cas de la ville Dakar est loin d’être isolé. Une majorité de villes d’Afrique au Sud du Sahara connaissent les mêmes turpitudes. Il est urgent de faire face à ces situations alarmantes en adressant de manière idoine ce problème pour rentrer dans un cycle complet de gestion efficace des déchets : tri, collecte, traitement, recyclage, et ce particulièrement dans les zones urbaines.

Adresser ce besoin d’une gestion efficace est sans conteste l’un des défis actuels à relever pour la santé publique et l’environnement et qui pourrait constituer un pire frein à l’émergence des pays. Les Etats doivent arrêter le greenwashing et allouer plus de ressources pour une gestion efficiente des déchets pour une amélioration des conditions de vie et une préservation de l’environnement.

En d’autres termes, à quoi cela sert de créer des richesses si ces richesses créent encore plus de traumatismes auprès des citoyens ?

Mon message est une invitation à une richesse de la Nation concomitante au bien-être des populations.

 

Cécile THIAKANE

Activiste du développement social

cecile.thiakane@humanbet.com

Cécile THIAKANE
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