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Les « Minorités » Ethniques Sont-elles Encore Solubles Dans Le Sénégal ?

Les « Minorités » Ethniques Sont-elles Encore Solubles Dans Le Sénégal ?

Comment expliquer le caractère itératif des accusations « d’ethnicisme » portées contre des hommes politiques comme Djibo Ka, hier, ou Macky Sall aujourd’hui, qui ne sont pas de la même génération, qui ont des parcours politiques opposés, qui ont des attaches familiales dans deux provinces très différentes, qui, quoiqu’en pensent certains Sénégalais, ont des cultures différentes et ne parlent pas tout à fait le même pulaar? Comment surtout comprendre que leur mise à l’index ne soit fondée que sur le fait qu’ils ont trouvé des points de convergence politique avec des personnes parlant le pulaar, ou qu’ils se sont exprimés un jour, publiquement, dans leur langue maternelle, ou que leurs équipes comptent un ou plusieurs pulaarophones, même à des postes subalternes, ou parce que des Sénégalais avec lesquels ils peuvent communiquer sans interprète les applaudissent ? Pourquoi sont-ils obligés de se justifier, ou de trouver des raisons à cette accointance, au point d’être presque gênés de se choisir un proche collaborateur ou d’être obligés d’en sacrifier un, au seul motif qu’ils appartiennent à leur aire linguistique ?

Curieusement ces suspicions sont portées plus souvent contre les pulaarophones que contre toute autre ethnie, la seule exception notable étant celle qui fut lancée contre Robert Sagna, accusé de promouvoir un « vote ethnique diola » lors de la campagne électorale de 2007. Comme si les non-wolofs n’avaient pas de convictions : ils n’ont que des sentiments, pour ne pas dire que des émotions ! Un seul a bénéficié de l’indulgence de l’opinion, c’est-à dire surtout la presse , Landing Savané qui, nous rapporte celle-ci, se serait permis d’aller à Mbour « rencontrer la communauté mandingue », sans provoquer une crise d’urticaire chez les sentinelles de la lutte contre « l’ethnicisme ». Quant aux ministres wolofs, ou qui se revendiquent tels, ils peuvent s’entourer d’une équipe appartenant uniquement à leur ethnie, y compris des membres de leur propre famille, sans que personne ne s’en aperçoive et nul ne penserait à les accuser d’être « régionalistes », ce qui est chez nous la forme politiquement correcte de l’ethnicisme. D’ailleurs les ministres wolofs, ou wolofisés, ont cette particularité : ils ne parlent que leur langue, ils la parlent à toutes les occasions et à tous les endroits, et tous s’imaginent bien entendu qu’elle est comprise de tous, et partout, à Fongolimbi, à Diawara ou à Sassel Talbé. Même la sémantique s’en mêle puisque les langues autres que le wolof sont appelées « lakks » et que celui qui n’a pas l’air sénégalais(ou wolof ?) est traité de « gnak » !

Personne ne s’offusque évidemment, que dans notre pays le Président de la République, les présidents, pourtant nommés et non élus, du Sénat, de l’Assemblée Nationale, du Conseil économique et social, de la Médiature, du Conseil d’Etat, et j’en passe, ou le Chef d’Etat Major des Armées, soient tous wolofs ! Qu’on ne me dise surtout pas que ce n’est que naturel puisque cette communauté est majoritaire au Sénégal : s’il en était partout ainsi ni J.F. Kennedy, catholique dans un pays majoritairement protestant, ni Obama, noir dans un pays à 90% blanc, n’auraient jamais été élus présidents des Etats-Unis. Nous mêmes avons, dans ce domaine, effectué un singulier pas en arrière : pendant les vingt premières années de notre indépendance notre principal titre de gloire avait été d’être un pays musulman à plus de 90% et d’avoir un catholique pour chef d’état !

C’est en vertu de ces privilèges que feu Sérigne Mamoune Niasse, chef de parti, a pu quitter la majorité parlementaire pour rallier Idrissa Seck, sans que personne ne puisse en redire, alors que si d’aventure, Cheikh Tidiane Gadio ou Samba Diouldé Thiam, autres anciens affidé ou allié de Wade et chefs de partis au même titre, décidaient, l’un ou l’autre, de rejoindre Macky Sall, toute la presse, tous leurs contempteurs politiques et surtout le PDS, pousseraient des cris d’orfraie. Pour une raison toute simple, aussi bête qu’illogique : même si Gadio et surtout Thiam sont, par leurs attaches, ancrés dans le Fouta profond, même si Macky Sall a sa base politique au cœur du Sine, qu’il parle sérère et qu’il est même le seul homme politique sénégalais de cette envergure qui soit trilingue, tous ont un péché congénital : ils sont nés hal-pulaar ou plus exactement, ils sont « toucouleurs », de ce mot qu’ignorent et exècrent tous les Foutankés parce que c’est un néologisme d’origine étrangère et qu’il est, dans le fond comme dans la forme, impropre et réducteur.

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Comme dirait Brice Hortefeux, un hal pulaar, ça va, c’est quand il y en a plusieurs que cela pose problème !

La stigmatisation de toute convergence, de tout rapprochement entre ceux qui expriment une appartenance ethnique autre que celle de la majorité, cet ethnocentrisme inavoué, participent à cette croyance, de plus en plus répandue, selon laquelle les minorités sont organisées comme des loges, des lobbies, toujours prêts à comploter. En ne défendant, pense-t-on, que des intérêts particuliers, familiaux ou régionaux, ils sapent, évidemment, la cohésion nationale. C’est ce que laisse entendre un homme connu pour sa tortuosité politique et qui est le symbole même des courtisans de luxe, espèce hélas prolifique dans le milieu maraboutique, qui clame sans se faire étriper et sans que cela soit relevé par les défenseurs de la paix sociale, que les échecs de Karim Wade s’expliqueraient par le fait qu’il est l’otage de la « mafia pulaar », comme l’avait été, selon lui, Philippe Senghor, trente ans plus tôt. Le mot important dans cette expression ce n’est évidemment pas mafia mais pulaar, mais notre politologue ne prend pas la peine de nous expliquer le sens de ce parallèle puisque Philippe Senghor n’avait jamais exercé de fonctions gouvernementale ou politique et que Senghor avait quitté le pouvoir de lui-même et dans l’honneur. Si la mafia pulaar est à l’origine de ces comportements c’est qu’elle n’est donc pas si mauvaise que ça !

Dans un autre domaine, mais au nom de la même inculture, on observe que, cinquante ans après notre émancipation politique, certains journaux s’autorisent des titres du genre : « Bagarres dans le département de Kaffrine entre paysans et Peuls ». Le journal ne dit pas à quelle ethnie appartiennent ces « paysans », ce qui signifie, à priori, qu’ils ne sont pas peuls. Il ne précise pas, non plus, que les « Peuls » dont il s’agit sont tout bonnement des éleveurs et fait donc fi de cette réalité qui veut que les bagarres entre éleveurs et paysans remontent à la nuit des temps et que, des Hyksos aux Mongols, l’histoire fourmille de querelles entre ceux qui sont attachés à la terre et ceux qui courent derrière le bétail. Pourquoi, dès lors, ne pas parler, simplement de « bagarres entre éleveurs et paysans », comme on aurait écrit « bagarres entre pêcheurs et chalutiers », même si les premiers ne sont autres que des lébous ?

Ces péripéties politiciennes, ces écarts de langage, auraient moins retenu mon attention si, depuis quelques années, on ne voyait pas se développer, encouragé par le style quasi-clanique du Chef de l’Etat, un comportement visant à condamner l’expression de toute exception culturelle pour ne tolérer que la culture dominante. Le président Wade parle et agit comme si nous n’avions plus qu’une langue « nationale » et comme si le français avait cessé d’être notre langue officielle et, comme dans tous les régimes autocratiques, ses serviteurs font du zèle, au point que dans notre système scolaire on enseigne le français au moyen du wolof. Les deux langues y perdent en qualité et en précision et notre école publique va en lambeaux… Mais, désormais, il ne s’agit plus d’ignorance, il s’agit bien d’intolérance et celle-ci est un poison insidieux générateur de guerres civiles.

Mon propos n’est pas de sonner la charge contre une composante de notre nation, mais de dénoncer ceux qui instrumentalisent nos différences et je sais que ceux-là l’interpréteront comme la manifestation même de « l’ethnicisme » rampant qu’ils dénoncent. Au Sénégal nous avons tendance à nous proclamer différents, voire supérieurs à nos voisins, à cacher nos dissensions ethniques et religieuses, notamment, sous un monceau de « maslaa », qui n’est souvent qu’un tas d’hypocrisies. A la veille des élections présidentielles, qui sont toujours un moment d’exaspération des dérives verbales, il me semble au contraire nécessaire de dépolluer le langage politique et de faire porter le débat sur l’essentiel et non sur ce qui peut nous diviser. Il y a en effet un espace entre les minorités ostentatoires ou irrédentistes et les minorités honteuses et la pluralité peut être une source d’enrichissement. Ceux qui se vantent d’être des exégètes de l’Islam devraient se rappeler ces paroles de Dieu dans son Livre Saint : « Je vous ai créés différents pour que vous vous connaissiez ».

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Encore une fois, le fait que le wolof soit la langue la plus parlée au Sénégal, la plus dynamique, ne peut justifier cet ostracisme ni ce monopolisme qui sont un déni de notre diversité et qui, quelquefois, s’apparentent à un mépris culturel, quand on voit comment certains s’esclaffent devant l’accent d’un Amath Dansokho ou excluent des débats ceux qui maitrisent mal la langue de Kocc Barma. C’est oublier, décidément, que la crise casamançaise dont nous payons, tous, le prix depuis plus de trente ans, est née de l’arrogance d’hôtes, qui se croyaient tout permis, ignoraient les us et coutumes de la région qui les accueille, s’érigeaient en gothas, se comportaient comme des commandants de cercle de l’époque coloniale dans un pays qui s’était illustré comme un foyer de résistance populaire. C’est, enfin, ignorer le cheminement qui a conduit de la colonie à l’état du Sénégal et mal appréhender les raisons profondes qui ont fait que notre pays a jusqu’ici échappé aux querelles tribales et aux guerres ethniques qui ont ensanglanté beaucoup de pays africains.

Notre chance c’est qu’il y a eu une ville, Saint-Louis, qui a servi de laboratoire à la formation, non pas (encore) d’une nation, mais d’un esprit sénégalais fait d’indulgence et de tolérance. A Saint-Louis, dès le dix huitième siècle, le relevé de la population, le premier recensement de notre histoire, nous signalait la présence dans l’île, de patronymes aussi illustratifs du Sénégal moderne que Diop (on écrivait alors Guiop), Fall, mais aussi Diouf, Gomis, Kane-Diallo etc. A Saint-Louis entre la première campagne électorale de notre histoire(1848) et celle qui a élu, pour la première fois, un noir député du Sénégal(1914), les personnalités les plus influentes, au plan politique et administratif, avaient leurs racines dans toutes les provinces qui constitueront le territoire du Sénégal et même au-delà de ses limites. Elles avaient des attaches wolof, bien sûr, mais également mandé, pulaar, sérère, bambara… Elles s’appelaient Papa Mar Diop, Capitaine Mamadou Racine Sy, Galandou Diouf, Amadou Ndiaye Duguay Clédor (qui avait pris un pseudonyme), Birahim Camara… Il y avait parmi elles des métis, locaux (Louis Guillabert) ou issus des Iles (Rémy Nantousha), des illettrés (Thiécouta Diop) ou des diplômés de l’école française (Lamine Guèye), des chrétiens (Pierre Chimère) et des musulmans (Amadou Ndiaye Ann)… C’est ce formidable mélange de cultures et d’héritages qui a fait les Saint-Louisiens, et plus tard les Sénégalais, et c’est grâce à la cohésion de ses fils que la première capitale du Sénégal a imposé à ses occupants et maintenu vivants la langue wolof et l’Islam : il n’y a jamais eu de pidgin ou de langue créole et malgré Faidherbe, les écoles coraniques n’ont jamais fermé leurs portes.

Cet héritage-là est aujourd’hui menacé. Le danger vient de ceux qui font semblant d’ignorer qu’une nation est un ensemble d’hommes et de femmes qui ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils prétendent, eux, que même si c’est le cas, certains sont plus égaux que d’autres. L’un d’eux estime que c’est le tour de son clan d’occuper les plus hautes fonctions de l’état, comme si la présidence de la République était une fonction tournante. Un autre, prétend que le pouvoir suprême doit désormais appartenir à un homme de sa confrérie, et certainement de son ethnie : c’est le syndrome tutsi. Un troisième affirme qu’au fond les élections démocratiques n’ont plus de raison d’être et qu’il faut désormais s’en remettre à un guide religieux, le sien, pour désigner le titulaire du poste de chef d’état : c’est l’avènement de l’ayatollisation ! Ces trois éminents théoriciens ont ceci en commun : ils revendiquent tous le titre de chefs religieux et pour eux les tribus de la périphérie n’ont plus droit au pouvoir et n’ont plus qu’un recours : se renier. Leur théorie est vulgarisée par les griots officiels, ceux qui ont le monopole des micros pendant les commémorations de notre indépendance et pour lesquels la résistance coloniale au Sénégal a commencé avec Lat-Dior et se résume à lui, le renouveau islamique se réduit à deux icônes, et il n’y a point de salut hors des deux confréries qu’elles ont fondées. Pour tous, évidemment, on ne peut pas s’appeler Sow et être ministre des Pêches, se nommer Savané ou Diaz et oser prétendre aux fonctions de Président de la République ou même de maire de Dakar…

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Au fond c’est notre école qui n’a pas fait son travail, celui de nous enseigner à mieux nous intéresser les uns aux autres et, tout particulièrement, à faire connaitre aux Sénégalais de l’ouest, ceux de ce qu’on appelait le « triangle arachidier », qu’on croyait être le seul « pays utile », ceux qui longtemps avaient le monopole des grandes écoles, des hôpitaux et des bonnes routes, d’appréhender le reste du pays. Il y a encore parmi eux des hommes et des femmes, cultivés, mais qui ne savent pas que Podor a fait partie du « Sénégal » avant Dakar, Thiès ou Kaolack, qui pensent qu’il n’y a qu’un roi diola et qu’il réside à Oussouye, que diola et mandingue c’est la Casamance, c’est donc du pareil au même, que soninké (eux disent Sarakholé) et bambara c’est un peu la même chose, que les Laobés sont une ethnie, et que les peuls et les toucouleurs sont deux communautés différentes… Bien entendu ils ignorent qu’il y a des populations autochtones de langue pulaar dans presque toutes les régions du Sénégal, qu’on peut être foutanké de souche et s’appeler Tine, qu’en fait le Fouta c’est un territoire de 400 km de long et que sur ce long parcours il y a des provinces qui, quelquefois, se sont fait la guerre, avec des parlers, des histoires qui sont loin d’être uniformes. Ils ne savent pas qu’il n’y a pas un Fouta, il y a dix Fouta, et c’est sans doute cela qui rend si difficile l’unité des Foutankés…

On ne peut pas accuser le colonisateur d’être responsable de toutes ces méprises ou de cette méconnaissance.

L’histoire du « Sénégal », quoiqu’en disent certains, n’a que cinquante ans, celle des peuples qui le composent est vieille, elle, de plusieurs siècles, et le reconnaitre c’est accepter que chacun soit fier de ses racines et les cultive, sans dénigrer ni mépriser celles des autres. Si vous voulez être universel, parlez de votre village, conseillait Tolstoï à un jeune écrivain, aujourd’hui on peut dire aux jeunes sénégalais : si vous êtes attachés à votre nation, ne sacrifiez pas vos racines.

Les femmes auront définitivement gagné l’égalité le jour où une femme incompétente sera nommée à un poste majeur, avait dit, en substance, Françoise Giroud. Nous ne serons vraiment une nation que le jour où un dirigeant, un homme politique, issus des minorités, pourront se choisir des alliés, des collaborateurs sans courir le risque que ceux-ci soient jugés, non par leur compétence, mais par leur origine ethnique.

 

Fadel DIA

Professeur à la retraite, écrivain

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