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Les Inondations, Permettez S’il Vous Plait Que Je Donne Mon Point De Vue

Les Inondations, Permettez S’il Vous Plait Que Je Donne Mon Point De Vue

Dakar et quelques autres villes du Sénégal, comme en 2005, 2009 et dans une moindre mesure toutes les autres années depuis la fin des années 90, a reçu cette année des précipitations de fortes intensités (deux ou trois principalement). Ces pluies ont directement ou indirectement causé des désagréments quelques fois graves (éboulements de maisons avec quelques fois morts d’hommes) à un certain nombre de populations notamment dans la banlieue de Dakar, à Grand-Yoff et dans d’autres zones dites sensibles de Dakar (mais également de quelques villes et villages de l’intérieur du pays). Elle a également entraîné une chaîne de solidarité fort louable dans le pays. Et comme on pouvait s’y attendre pour qui connait le Sénégal, les pluies et les désagréments qui en sont les conséquences ont déchaîné des commentaires tout azimut comme le lendemain de campagne de CAN de l’équipe Nationale ou de joutes électorales. La presse en général et les télévisions et radios en particulier rivalisaient de plateaux et d’interviews sur la question. Des invités donnaient à qui mieux-mieux des causes et quelques fois même les solutions aux inondations.

On aura tout entendu ! Pourtant, à y regarder de plus près, il s’est agi, pour beaucoup, d’un débat de circonstance car l’intérêt pour la plupart pour la question est seulement suscité par les récentes inondations. En tant qu’ingénieur hydraulicien ayant la chance de travailler depuis bientôt 10 ans dans ce domaine aussi bien au Sénégal que dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, du Centre et de l’Est, j’estime avoir l’avantage de pouvoir aborder la question avec plus de recul et surtout, sans parti pris politique ou autre. Beaucoup de propos ont attiré mon attention. J’en ai noté trois particulièrement qu’il me plaît de commenter dans les paragraphes suivants. D’emblée, je souhaiterai m’excuser auprès des auteurs de ces propos, mon objectif étant de donner mon point de vue en partant de cas pratiques.

1. un professeur d’université répondant à la question d’un journaliste de savoir si le Plan directeur d’assainissement de Dakar pouvait régler le problème des inondations réagit en ces termes : « ne me parlez pas de plan directeur, parlez moi plutôt de géomorphologie … » ;

2. beaucoup de personnes, y compris des autorités, avancent le chiffre de 450 milliards de CFA pour résoudre le problème des inondations de Dakar ;

3. les inondations sont dues à une occupation anarchique des zones jadis réceptacles des eaux de pluies, il faut déguerpir toutes les constructions bâties sur des anciennes zones de stockage d’eaux et ainsi résoudre le problème.

Pour avoir participé à l’élaboration du Plan Directeur D’assainissement de la ville de Dakar (en cours) et du Plan de Drainage des eaux pluviales de la banlieue (PDD) en tant que chef de mission adjoint pour les deux projets, je me fais le devoir d’apporter quelques précisions qui me semblent importantes.

1. « Ne me parlez pas de plan directeur, parlez moi plutôt de géomorphologie » !

Au-delà du professeur ayant tenu ces propos, beaucoup de monde, y compris des journalistes qui couvrent pourtant les ateliers de validations des Plans directeurs élaborés, ignorent ce qu’est un Plan directeur d’assainissement. C’est normal me dirait-on ! Un plan directeur d’assainissement comme d’ailleurs un plan directeur d’urbanisme ou d’alimentation en eau potable (pour se limiter à ces trois domaines pertinents ici) est un outil de planification à un horizon donné. Elle donne les solutions pour résoudre les problèmes posés, les chiffres et très souvent donne un phasage. Pour être cohérent, un plan directeur d’assainissement doit prendre en compte un certain nombre de paramètres essentiels. Parmi eux, l’hydrologie, la topographie, l’urbanisme et l’habitat, l’hydrographie et la géomorphologie….

Il suffisait pour ce professeur de lire, ne serait-ce que le troisième paragraphe du résumé du Plan Directeur de Drainage de la Banlieue de Dakar (puisque, c’est de lui qu’il s’agit en réalité et pas du Plan directeur d’assainissement (voir plus bas)) pour comprendre (voir) que la « géomorphologie » est prise en compte. Cependant, elle n’est pas une solution et ne donne pas de solution. Il s’agit plutôt d’un paramètre. Le problème des inondations n’est donc pas une histoire d’un paramètre ni même de plusieurs paramètres pris individuellement mais de l’interaction d’un ensemble de paramètres qu’il convient de connaître et de cerner. En d’autres termes, aucun paramètre, même la pluviométrie exceptionnelle, considéré isolément ne peut à lui seul expliquer les inondations connues.

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2. 450 milliards de plan CFA pour résoudre le problème des inondations de Dakar !

Une grave confusion est entretenue sur le Plan Directeur d’assainissement Liquide de Dakar horizon 2025 (PDAL) et le Plan Directeur de Drainage des eaux pluviales de la Banlieue de Dakar (PDD). Le plan directeur d’assainissement liquide de Dakar (PDAL) qui est d’ailleurs toujours en cours d’élaboration mais dont les solutions proposées sont déjà quasiment figées, pour en parler, a pour objectif de proposer des solutions pour les eaux usées et excrétas de tout Dakar (Dakar, Pikine et Guédiawaye) à l’horizon 2025 et de seulement une partie de la commune de Dakar pour les eaux pluviales.

La délimitation n’est évidement pas basée sur les limites administratives (département de Dakar d’une part et département de Pikine et Guédiawaye de l’autre), elle suit plutôt les limites de bassins versants, ce qui est évident pour un projet de drainage d’eaux pluviales.

Les 450 milliards dont on parle souvent sont donc le coût total des propositions pour les eaux usées et excrétas de l’ensemble de la zone et des eaux pluviales de la partie sus-indiquée. La partie « eaux pluviales » correspond à 14, 20 milliards soit seulement 3% du coût global. Le Plan Directeur de Drainage, elle propose des solutions pour le drainage des eaux pluviales de tout le département de Pikine, tout le département de Guédiawaye, des parties des départements de Dakar et Rufisque suivant les limites des bassins-versants extrêmes. Comme on le voit, le PDD s’occupe des zones les plus sensibles y compris les Niayes (« Elton » et Technopole). L’ossature maîtresse proposée par le PDD se décline en douze ensembles structurants classés en :

 Infrastructures de drainage (canaux, dalots et conduites) :

 Canaux ou conduites de petite section (dont la largeur ou le diamètre sont inférieurs à 1m) :72.8 km ;

 Canaux de section moyenne dont la largeur est comprise entre 1 et 4 m 39.5 km,

 Canaux de grande section dont la largeur est supérieure à 4 m : 35,3 km,

 Recalibrage du marigot de M’bao : 2,9 km .

 Espaces de stockage des eaux pluviales (185 espaces de stockage d’une capacité de stockage 6,3 millions de m3)

 38 espaces de stockage de moins de 5000 m3 totalisant 111000 m3,

 87 espaces de stockage de capacité de stockage de 5000 à 15000 m3, totalisant 795000 m3,

 60 espaces de stockage de capacité dépassant 15’000 m3.

A noter que les solutions proposées sont organisées sous forme d’opérations indépendantes. Chaque opération réalisée sort les parties concernées des inondations pour le niveau de protection considérée (période de retour). Je renvoie ceux qui sont intéressés au document produit à cet effet pour les détails des ensembles. Je préciserai simplement que les solutions proposées prennent en compte le niveau particulièrement haut de la nappe dans une grande partie de la zone. Une modélisation a été faite dans ce cadre afin de prévoir le comportement de la nappe avec des scénarii de drainage. Ainsi, il est prévu un rabattement de la nappe à deux niveaux :

 admission le long des conduites en prévoyant que le radier des canaux (fermés ou ouverts) repose sur un massif filtrant qui aura une fonction de drainage longitudinal. De proche en proche des barbacanes correctement disposées permettront le passage de cette eau de

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nappe drainée dans la canalisation ;

 un calage assez bas des conduites d’écrêtement des bassins de stockage. Le total des investissements y compris maîtrise d’oeuvre ainsi que divers et imprévus est de 93.10 milliards de FCFA. En outre 1 200 expropriations sont prévues pour un budget de 120 milliards de FCFA.

Le coût global du PDD est alors :

 14.20 milliards pour les aménagements prévus dans les bassins-versants inclus dans le PDA ;

 93.10 milliards pour les réalisations physiques prévues dans le PDD ;

 120 milliards pour les expropriations nécessaires à la mise en oeuvre des aménagements prévus dans le PDD. Le montant total est ainsi de 227.30 milliards soit la moitié du chiffre souvent annoncé dans la presse.

3. les inondations sont dues à une occupation anarchique des zones jadis réceptacles des eaux de pluies, il faut déguerpir toutes les constructions bâties sur des anciennes zones de stockage d’eaux et ainsi résoudre le problème.

Même s’il est vrai que les occupations des espaces considérées comme « non aedificandi » sont en partie responsables des désagréments notés lors de précipitations de forte intensité, il n’en demeure pas moins que c’est trop simple et facile de vouloir régler le problème en déguerpissant tout le monde.

 Les japonais savent que leurs îles sont extrêmement sismiques, soumises à des intempéries ravageuses, pourtant ça ne les empêche pas d’y habiter et même d’y réaliser des infrastructures telles que des centrales nucléaires.

 Les Français sont conscients que la Seine est susceptible de déborder. Ils n’ont quand même pas classé les zones situées à la portée des eaux « non aedificandi ». La dernière crue de 1910 n’a pas été prise comme prétexte pour déguerpir toutes les constructions susceptibles d’être touchées. Ils ont réfléchi de façon lucide et ont réalisé des ouvrages de secours, prévu un dispositif d’alerte et mis en place un système de secours en cas de problème.

 Ces mêmes français ont réalisé le viaduc de Millau, soumis à des rafales de vents très fortes, dangereuses y compris même dans la phase construction (une prouesse d’ingénierie qui fait la fierté de la France) alors qu’il était possible de faire plus simple et moins cher ;

 Les princes de Dubai et d’Abou Dabi ont remblayé des hectares d’océan pour construire des hôtels et une ville entière ;

 Les japonais ont fait pareil pour construire un aéroport dans une zone soumise à des conditions climatiques extrêmes ;

 Une grande partie de la côte est des USA est soumise à des orages et typhons cycliques, les américains n’ont pas pour autant déclarés cette zone « non vivable » ;

 Les Hollandais (pays bas) ont su intégrer les nombreux cours d’eau de Amsterdam dans l’environnement de la ville;

De tels exemples, on peut en citer encore et encore. Au vu de tout ça, au nom de quoi, devrait-on laisser aux eaux de pluie, une zone comme la zone de captage, le CICES, une grande partie de Pikine et Guédiawaye ? Ne sommes-nous pas capables, comme les autres, de dompter la nature pourtant très clémente sous nos cieux comme Dieu le Tout-Puissant nous en a donné les moyens ? Si l’ensemble des quartiers aujourd’hui inondés dans la banlieue étaient déclarés non « aedificandi », où iraient habiter l’ensemble des personnes vivant aujourd’hui dans ces zones. L’adage ou le « postulat » wolof qui veut que l’eau ne soit pas dérangée et qu’on lui laisse son chemin « naturel » (ndokh do bayi yonam) est à relativiser.

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Il est tout à fait possible de faire en sorte que les plans d’eaux occupent un espace confinée tout en jouant efficacement leur rôle.

Ce qui serait par contre scandaleux c’est de laisser des hectares de terres aux eaux de pluies pendant que la pression foncière atteint des sommets à Dakar alors qu’il suffit simplement de les aménager correctement pour récupérer des surfaces importantes de terres habitables tout en permettant aux eaux de pluies de s’écouler tranquillement. Si ces zones n’étaient pas aujourd’hui habitées, la nature exigüe de Dakar aurait commandé de faire en sorte qu’elles soient réduites au minimum afin de permettre de les valoriser (pas nécessairement en habitations toutefois). Les plans d’eaux font partie intégrante des décors des grandes villes du monde. Pourquoi ici, devrait on les considérer comme des ennemis ou des places insalubres ? D’ailleurs, comme on l’aura remarqué, les solutions proposés dans le PDD nécessitent uniquement 1 200 expropriations soient moins que le nombre de familles officiellement déplacées dans le cadre du Plan Jaxxay.

L’idéal est qu’un habitat soit à chaque fois précédé d’une viabilisation mais au cas où c’est le contraire comme dans la plupart de nos villes, il est toujours possible de proposer des solutions avec le moins de désagréments possible. Dans un pays où tout le monde connaît avec exactitude les périodes de pluies de forte intensité (entre mi-juillet et mi-septembre soit tout au plus deux mois), la solution simpliste qui consisterait à déguerpir tout ceux qui se sont établis au CICES, dans les zones inondables de Pikine et Guédiawaye, au centre de captage et à laisser aux eaux de pluie et autres animaux et arbres aquatiques des boulevards serait une fuite en avant sans précédent devant dame nature. L’assainissement tel que l’a prouvé le PDD est tout à fait capable de s’adapter aux conditions d’urbanisme les plus problématiques, à l’habitat même précaire. Si une occupation anarchique des zones de stockage d’eaux sans mesures d’accompagnement a participé à aggraver les inondations, la solution n’est pas du tout de tout déguerpir et de restaurer tous les anciens thalwegs de Dakar.

Entendons-nous bien cependant. Personne ne peut assurer qu’il n’y aura plus d’inondations une fois les actions proposées dans le PDD ou autres seront mises en oeuvre. Car, il faut le dire avec force, des inondations comme les autres catastrophes naturelles connues dans d’autres parties du monde, on en a vécu et on en a vivra d’autres. La seule question qui se pose est quand arriveront les prochaines. En effet, comme indiqué plus haut, les aménagements en drainage des eaux pluviales permettent de se couvrir contre un évènement pluvieux bien déterminé. Au-delà, des inondations seront forcement notées. Cependant :

 les zones sensibles auront été déterminées au préalable et classées comme telles ;

 les constructions dans ces zones auront pris en compte cet aspect ;

 l’alerte serait donnée suffisamment à temps par les services de la météo

 et le dispositif de secours bien huilé mis en alerte

Les conséquences seront nettement moins importantes.

Pour bien des années encore, nous devront gérer les passifs de plus de 50 ans d’occupation de l’espace urbain sans planification (ou tout simplement sans respect des plans). Nous devront le faire avec lucidité. A cet effet, nous devons avoir à l’esprit que les solutions les plus simplistes sont rarement les bonnes.

Il appartient à l’Etat de mettre en oeuvre les solutions proposées et de sortir des eaux des hectares de terres parfaitement valorisables afin que vivent la banlieue et les autres zones soumises aux rudes épreuves des inondations qui ne sont, hélas, pour la plupart que les conséquences de notre mauvaise organisation !

 

Serigne Touré

Ingénieur génie civil, hydraulicien

Directeur Technique du Cabinet EDE

Serigne.toure@cabinetede.com

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