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Problématique De L’industrie Pétrolière Et Gazière Au Sénégal : Enjeux Et Perspectives.

Problématique De L’industrie Pétrolière Et Gazière Au Sénégal : Enjeux Et   Perspectives.

Avec la découverte récente d’importants gisements de pétrole et de gaz, le Sénégal consolide sa position de pays minier et va rejoindre le cercle privilégié des États pétroliers et gaziers. Mais si ces deux ressources constituent des facteurs essentiels de croissance, elles exigent des choix lucides de politiques publiques tant en ce qui concerne les conditions d’exploitation (le droit des contrats de concession) que les politiques publiques, notamment d’allocation des ressources. Dans l’analyse de cet encadrement qu’il convient d’appeler le processus minier nous identifions trois contextes majeurs qui imposent à l’Etat des contraintes spécifiques et une vigilance particulière. Il s’agit de l’environnement international qui détermine grandement les conditions d’exploitation du secteur minier, l’architecture institutionnelle et juridique qui préserve la capacité de mobilisation des ressources budgétaires de l’Etat et les politiques publiques et d’allocation des ressources.

1/secteur minier et mondialisation

Le premier enjeu des ressources minières pour les États reste l’affirmation de leur souveraineté sur les richesses du sol et du sous-sol. Or ce principe de souveraineté se heurte à la géopolitique des savoirs technologiques et des avoirs économiques qui constituent les concepts structurants de la mondialisation libérale. En effet le développement des industries extractives exige un potentiel scientifique, technique, technologique et financier, tant en ce qui concerne les activités de recherche, d’exploration que de production que ne possèdent pas à priori les pays d’assiette de ces mines. Cette réalité fragilise congénitalement la souveraineté des États dans la perspective de l’économie minière.

En outre, le droit minier international a été conçu, pour une large proportion, dans un contexte historique de dépendance politique et économique de la plupart des États miniers. Les indépendances, postérieures au début de l’exploitation minière dans la plupart des anciennes colonies, n’ont pas toujours modifié fondamentalement le droit minier existant, largement resté aux commandes d’entreprises multinationales, à l’exception de certains pays où des nationalisations sont advenues. Mais, de façon générale, la mondialisation libérale demeure un marqueur déterminant dans la fragilisation de la souveraineté des États sur leurs ressources. Cette fragilité accentuée par le manque de ressources humaines qualifiées en matière de négociation de contrats conduit souvent à des contrats de type léonin, au détriment de ces États. Plusieurs intellectuels opposés à la mondialisation libérale, notamment à ce qu’ils appellent la mainmise des multinationales sur les ressources minières des pays sous-développés, invitent à la construction d’un plaidoyer politique de ces pays pour obtenir une renégociation des conventions minières en vue de disposer d’un cadre contractuel harmonisé plus conforme à leurs intérêts.

Le Sénégal n’échappe pas aux contraintes de cet environnement qui lui imposent de la lucidité et de la vertu patriotique pour souscrire des contrats qui préservent les intérêts du pays . Seulement, des contrats même bien négociés ne peuvent pas, à eux seuls, préserver nos ressources. Plusieurs facteurs de risques pèsent sur le potentiel de mobilisation des ressources qu’offrent les industries extractives. Il convient de les conjurer par une architecture institutionnelle et législative appropriée.

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2/les exigences d’un cadre législatif et institutionnel approprié

Tous les pays miniers doivent se doter d’une législation et des structures aptes à relever certains défis fiscaux tels que les prix de transfert en raison de l’importance des transactions intra groupes dans les industries extractives. Sous ce rapport certaines situations peuvent entraîner une érosion de la base imposable des États et un transfert indirect de bénéfices. Il en est ainsi lorsque les prix sont anormalement bas, lorsque les transferts de titres ou d’actifs entraînent des gains indus en capital pour les acquéreurs, lorsque les redevances ou les royalties payées ou reçues ne sont pas proportionnelles à la valeur et à l’utilité effective de l’incorporel transféré, lorsque la dette est utilisée comme un instrument de sous-capitalisation …

Hormis les prix de transfert, d’autres risques tels que les clauses de stabilité dans certains contrats et l’utilisation inappropriée d’incitations fiscales dont les contre – parties économique et sociale ne sont pas garanties constituent une menace sérieuse sur la capacité de mobilisation des ressources.

L’évasion et la fraude fiscales doivent être combattues sans relâche. Il importe aussi de se prémunir contre les flux financiers illicites générés par l’économie criminelle qui cherche à les recycler ou les  » blanchir » dans le secteur minier caractérisé par une grande fluidité des capitaux. Cette exigence des textes en appelle une autre, celle d’avoir des structures dédiées dotées de ressources humaines disposant d’une réelle capacité opérationnelle. D’où l’importance de la formation initiale et en cours d’emploi des ressources humaines.

Ces quelques développements sur les aspects institutionnels et fiscaux des industries extractives m’amènent à me prononcer exclusivement sur le traitement fiscal des transferts de titres miniers qui continuent de défrayer la chronique.

Pour ce faire, nous présenterons les configurations fiscales généralement admises. Dans le principe, les phases de recherche, d’exploration et jusqu’à un certain horizon temporel, d’exploitation, peuvent bénéficier d’un régime de faveur pouvant aller jusqu’à la défiscalisation. Mais il s’agit d’opérations relevant naturellement du processus minier en tant que tel. Aussi, en matière de fiscalité du capital, le transfert de titres est -il taxé au niveau du cédant (le Farm Out) avec une taxe dite de plus -value au taux de 10 pour cent sur la part de la plus -value qui ne provient pas du fait du propriétaire des titres (article 556 de la loi 2012-31 du31/12/2012), mais aussi au niveau du cessionnaire (Farm In) avec des droits d’enregistrement de 10 pour cent de la valeur vénale des titres (art 464 – 13eme, 468-17eme et 472-6eme de la loi précitée). On le voit bien, les opérations qui modifient la géographie du capital, en tant qu’actes translatifs de propriété de titres s’analysent, au demeurant, comme des actes marchands entre acteurs et ne sauraient en aucune manière être affranchies de l’impôt. Cette prérogative régalienne est adossée à un espèce de sûreté, en l’occurrence le droit de préemption, comme si le législateur cherchait visiblement à doter l’administration d’Etat d’une arme destinée à protéger l’intégrité de son assiette fiscale. Il n’est donc pas possible d’invoquer ici les dispositions de la loi 98-05 du 8 janvier 1998 portant code minier puisque le transfert de titres est une simple transaction commerciale entre parties, se situant en dehors du processus minier, et par voie de conséquence en dehors du champ d’application des exonérations prévues par l’article 48 dudit code. Ce sont donc les dispositions de la loi fiscale de 2012 qui sont seules applicables. C’est la seule lecture fiscale possible. La doctrine actuelle stipulant la thèse de la non taxation est grave en ce qu’elle compromet non seulement des ressources actuellement exigibles mais aussi futures.

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Il est simplement regrettable que le débat sur les transferts de titres miniers au Sénégal ait été pollué par la politique alors qu’il reste fondamentalement un débat technique. Et s’il a pu en être ainsi c’est que tout l’amont juridique de la problématique a été vicié par des querelles sourdes de préséance, d’influence ou même de compétence entre le ministère des Mines et celui de l’Economie et des Finances. Cette confusion juridique et le défaut ou même le retard d’un arbitrage politique ont entraîné sans doute, au niveau de l’Administration fiscale, à la fois des fautes d’abstention et de commission. Et pourtant l’un des objectifs de la réforme fiscale de 2012 était justement de combattre ce genre de conflictualité par le rapatriement dans un document unique de référence de toutes les dispositions fiscales éparpillées dans une pléthore abusive de textes.

Pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu : c’est un impôt sur le résultat annuel de l’entreprise. Il peut être régi par le droit commun ou par un droit dérogatoire.

Quant à la fiscalité de consommation, il s’agit des impôts et taxes assis sur les transactions domestiques et le commerce extérieur. Elle reste le principal levier de mobilisation des ressources (représentant les 2/3 des ressources fiscales) mais présente un caractère de classe très prononcé du fait qu’elle frappe plus largement les petits contribuables qui dépensent l’intégralité de leurs revenus alors que les gros contribuables, par leur capacité d’épargne, n’exposent pas la totalité de leurs revenus à la taxation. Pour corriger cette faille technique, l’Etat actionne souvent le levier de la redistribution. L’impôt de consommation est très rarement instrumentalisé dans les régimes d’incitation en raison justement de son caractère indirect. Il peut cependant arriver que l’entreprise bénéficie d’un régime de faveur pour l’acquisition locale ou l’importation de biens d’investissement.

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3/Des choix pertinents de politiques publiques

Des ressources abondantes et bien préservées ne suffisent pas à garantir la paix, la stabilité et le développement. Pour atteindre ces objectifs qualitatifs elles doivent être judicieusement réparties dans le temps et dans l’espace. Certains pays scandinaves ont compris cette exigence. A l’inverse plusieurs expériences minières ont été l’occasion d’allumer des foyers de tension qui ont fini par installer l’instabilité ou même la violence. C’est que dans la plupart de ces pays la rente pétrolière a été ou continue d’être gérée de façon patrimoniale et exclusive. C’est cette violence découlant des luttes pour le contrôle ou le partage des ressources qui a fait dire à un auteur sud-américain, qui ne manque pas d’humour, que le pétrole était un excrément du diable.

Transparence et inclusivité sont donc des atouts contre ce que d’aucuns appellent la malédiction du pétrole. Mais il faut aussi poursuivre la politique de diversification du tissu économique pour ne pas tomber dans les rets d’une économie monolithique, uniquement fondée sur la rente pétrolière, qui a déjà montré ses limites dans certains pays. Cette posture stratégique conduit à se méfier de la « primarisation”, concept utilisé par Harold Innis, célèbre universitaire canadien, pour décrire un procédé caractéristique de la doctrine « extractiviste « et consistant à faire reposer une économie principalement sur l’extraction d’une ou de plusieurs matières premières et d’en faire un mode d’insertion de la société dans l’économie mondiale. Ce modèle étant plus dangereux encore lorsque la ou les matières premières sont exportées directement sans plus – value résultant d’une chaîne de valeurs locale. C’est pour cette raison que le Sénégal gagnerait à accroître et à renforcer son potentiel de raffinage et à opter pour la construction d’une chaîne de valeurs en aval de l’extraction des ressources pétrolière et gazière. La dimension environnementale et écologique de préservation de la biodiversité devra bien sûr être prise en compte, dans le respect des droits et de la dignité des populations négativement impactées par les projets.

Dakar , le 9 novembre 2016

 

Cheikh Gueye

Inspecteur des impôts, Expert en PPD (politiques publiques de développement)

 

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