L’Agent judiciaire de l’Etat (AJE) n’ayant pas de pouvoir de représentation conféré par la loi, quel est le mobile qui le pousse à vouloir se constituer partie civile dans l’affaire de la caisse d’avances de la ville de Dakar ?
La lecture d’un article posté sur le site Senejournal.com avec comme titre « Antoine Diome, agent judiciaire de l’Etat : « Pourquoi l’Etat du Sénégal peut se constituer partie civile dans le dossier de Khalifa Sall » » m’amène à m’interroger sur les raisons de cette obstination de l’AJE à vouloir se constituer partie civile, au nom de l’Etat, dans une affaire d’infraction sur des fonds publics qui appartiennent à la ville de Dakar. Est-ce réellement pour l’intérêt général ou est-ce pour poursuivre un intérêt purement personnel et pécuniaire ?
L’AJE exerce un mandat qui n’est pas d’ordre légal
Dans précité, il est indiqué que « le représentant de l’Etat agit … en fonction d’un mandat légal d’ordre public ». Cette assertion n’est pas fondée sur notre droit positif. En effet, les attributions de l’Agent judicaire de l’Etat sont, à ce jour, fixées par décret et non par une loi. Dès lors, il faut demander à l’AJE de produire le texte législatif invoqué qui lui donne ce mandat légal qui, suivant la définition du Vocabulaire juridique de Gérard Cornu (11ème édition, page 639), est le « nom abusivement donné au pouvoir de représentation conféré par la loi à certaines personnes dites représentants légaux ».
En décembre 2017, dans un article publié sous le titre « L’Agent judiciaire de l’État peut-il se constituer partie civile devant le juge pénal en cas de détournement de fonds publics appartenant à une collectivité territoriale. Dans l’affirmative, quel est le texte législatif qui organise la procédure ? », je soulevais plusieurs questions restées sans réponse à ce jour dont notamment la question de savoir « s’il existe un texte législatif qui fonde la légalité de la constitution de partie civile de l’AJE au nom de l’État ou au nom d’une collectivité territoriale, en l’absence d’une autorisation du conseil délibérant de la collectivité concernée dans les cas de détournement de fonds publics appartenant à la collectivité territoriale ».
La ville de Dakar est propriétaire des fonds de la caisse d’avances
Dans le même article de Dakaractu, l’AJE poursuit : « « l’Etat s’est constitué partie civile pour demander réparation résultant de la commission de l’infraction dont il est victime » ». Enfin, je me demande sur quel fondement l’AJE se dit convaincu que « la partie civile a subi un préjudice né directement de l’infraction… » alors que les fonds publics supposés être escroqués n’appartiennent pas à l’Etat mais bien à la ville de Dakar.
Dans ma contribution précitée de décembre 2017, je faisais remarquer qu’« en se constituant directement partie civile, l’État a l’obligation de démontrer l’existence pour lui d’un préjudice propre et distinct de celui subi par la ville de Dakar et découlant directement de l’infraction de détournement de fonds publics (devenue l’infraction d’escroquerie) ».
Si l’Etat est propriétaire des fonds de la caisse d’avances de la ville de Dakar, ladite caisse devrait figurer parmi les régies de dépenses à vérifier chaque année suivant décision du ministre chargé des Finances ou du directeur chargé de la Comptabilité publique. Or, dans l’exercice de mes fonctions de directeur chargé de la Comptabilité publique entre 2000 et 2008, je ne me souviens pas avoir mis la caisse d’avances de la ville de Dakar dans la liste des régies d’avances à vérifier au 31 décembre de chaque année parce qu’elle n’était pas réglementée par le texte applicable en la matière.
Dans une publication à paraitre prochainement dans une revue scientifique, je reviendrai sur la notion de deniers publics en droit financier sénégalais ; une notion constituée de la combinaison de trois éléments : « les deniers publics sont des fonds et valeurs ; ces fonds et valeurs sont possédés par les organismes publics ; et les organismes publics les possèdent à titre de propriétaires ». (Jacques Magnet, « La notion de deniers publics en droit financier français », Revue de science financière, 1974, pp.129-146).
Comme on le sait, la procédure pénale relève du domaine de la loi en vertu de 67 de la Constitution du Sénégal. Les attributions de l’Agent judiciaire de l’Etat (qui auraient dû, à mon avis, être définies par un texte législatif) étant fixées par voie règlementaire, ce dernier ne devrait pas engager des actions qui relèvent de la procédure pénale.
Mamadou Abdoulaye SOW
Inspecteur principal du Trésor à la retraite
mamabdousow@yahoo.fr
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