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Trump, Xi Et Nous

L’année 2019 sera-t-elle celle de l’apaisement entre les États-Unis et la Chine ? Nombreux sont ceux qui se sont pris à y croire, début décembre, en voyant les présidents Donald Trump et Xi Jinping parvenir à un accord dans la guerre commerciale qui oppose, depuis bientôt un an, leurs deux pays. Hélàs, les espoirs nés à Buenos Aires, en marge du sommet du G20, ont eu tôt fait d’être douchés : quelques heures après la conclusion de cette « trêve », Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei et fille du fondateur du géant chinois des télécoms, était arrêtée au Canada, à la demande de la justice américaine, qui la soupçonne d’avoir délibérément violé les sanctions contre Téhéran… D’accord, il n’a bientôt plus été question ; et le monde de retenir son souffle, en se demandant ce qu’il pourrait advenir.

À la reflexion, rien dans cette séquence n’aurait dû surprendre les observateurs des relations sino-americaines. Cela fait près de vingt ans que les deux pays s’affrontent à travers une surenchère de taxes et de droits de douane. Et que la nécessité de contenir les « ambitions hégémoniques de la Chine » a été érigée au rang de doxa par les architectes de la politique internationale des États-Unis avec une continuite remarquable. C’est l’administration Bush qui a envoyé les premiers signaux forts en accordant une place prépondérante à la zone Asie Pacifique – au détriment du Moyen- Orient. Cette orientation ne sera pas remise en cause par l’administration Obama qui a consolidé, voire amplifié sur certains points, les jalons posés par son prédécesseur. L’administration Trump, qui tente d’infléchir l’influence grandissante du géant chinois, n’aura, sous ce rapport, rien inventé.

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Au beau fixe

Tout au long de ces trois administrations, reliées par un même fil rouge – celui de la peur –, Washington s’est souvent retrouvé dans une position inconfortable. Il lui a fallu négocier avec un pays devenu un acteur incontournable pour la croissance mondiale. Et, dans le même temps, déployer un arsenal de mesures commerciales, diplomatiques et militaires, comme la hausse des ventes d’armes aux pays frontaliers de l’Empire du milieu, qui laissent peu de place au doute sur ses intentions…

Cette politique – que certains ont vite fait de caractériser de schizophrénique – n’a-t-elle pas finalement renforcé les appétits chinois ? Cela n’est pas exclu. Mais une chose est claire : les questions d’excédent (ou de déficit) commercial vont prendre le pas, au moins à court terme, sur toute autre considération.

Quid de l’Afrique dans cette guerre condamnée a s’intensifier ? Elle a jusqu’à présent été relativement épargnée, et semble même en mesure de tirer parti de la situation. C’est du moins une lecture possible de l’adoption en octobre 2018 par le Sénat américain d’un texte créant une nouvelle institution de financement du développement, dont on peut valablement penser qu’elle est une réponse directe de Trump à l’initiative chinoise « One Belt, One Road » et aux 60 milliards de dollars promis par Xi Jinping en faveur du développement du continent. Par ailleurs, en dépit de quelques soubresauts avec l’Afrique du Sud, le Rwanda ou la Mauritanie, l’AGOA – loi américaine sur la croissance et les perspectives économiques en Afrique, qui donne droit à un certain nombre d’avantages commerciaux – est demeurée intacte. De la même manière, et malgré quelques récriminations ici ou là, les relations sino-africaines sont globalement au beau fixe. En dix ans, les investissements chinois sur le continent ont d’ailleurs atteint un ordre de grandeur comparable à celui – historique – des États-Unis et continuent de croître.

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Mais le beau fixe n’est-il pas par nature passager ? Ne faut-il pas se rendre à l’évidence et considérer que, du fait de leur grande dépendance vis-à-vis de la Chine, les économies africaines pourraient finir par être durablement affectées par les tensions entre Pékin et Washington ? Point n’est besoin d’être un grand spécialiste pour comprendre que lorsque les États-Unis augmentent leurs taxes sur les produits chinois, ceux-ci se vendent moins et les matières premières africaines qui servent à leur fabrication aussi. Si donc l’économie chinoise venait à marquer le pas, l’Afrique serait forcément affectée, d’autant que les aides ou les projets chinois sur le continent pourraient être revus à la baisse.

L’effet domino redouté n’a pour l’instant pas eu lieu, mais l’Afrique se doit d’écarter le spectre d’un tel scénario, dans lequel elle serait une simple victime collatérale. Heureusement, d’autres perspectives peuvent être envisagées. Le salut pourrait venir de la diversification des économies, l’idée étant de réduire la dépendance tant par rapport aux importations chinoises que vis-à-vis des exportations vers les États-Unis. Une grande incertitude porte sur la possibilité d’une reconfiguration des chaînes de production depuis la Chine, qui reste l’usine du monde, vers un mode d’organisation plus éclaté : Pékin n’a-t-il pas déjà délocalisé vers d’autres pays d’Asie du Sud-Est, pour contourner les restrictions douanières ? Pourraitelle envisager d’en faire de même avec l’Afrique, et ainsi lui permettre de développer des industries et de créer des emplois ? Si l’option est envisageable, le continent est-il outillé à court terme pour en tirer parti, quand on sait que cette reconfiguration est une option exigeante en temps et en ressources humaines et financières ?

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Pour l’heure, il est vraisemblable que la guerre commerciale sino-américaine ne constituera pas, pour la vaste majorité des économies africaines, l’opportunité d’accroître leur marges de manoeuvre ou de réduire leur dépendance. Au mieux, elle fera office de piqûre de rappel en faveur de réformes en profondeur… Car si un tel affrontement entre deux géants n’est bon pour personne, les seuls à pouvoir en tirer un quelconque bénéfice seront les grands émergents du monde en développement. Et peu sont africains.







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