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Lettre Ouverte Aux Chefs D’etat Africains (pr. Aliou Diack)

Lettre Ouverte Aux Chefs D’etat Africains (pr. Aliou Diack)

Messieurs les Chefs d’états africains, pour la mémoire de l’illustre savant

Professeur Cheikh Anta Diop, appelez notre future monnaie de la CEDEAO « le

Kemt » et non « l’Eco »

Les 15 chefs d’État de la Communauté Economique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)

se sont donné rendez-vous le 29 juin 2019 à Abuja au Nigéria, en vue d’adopter un agenda

pour la mise en circulation prochaine d’une nouvelle monnaie unique de la zone, en

l’occurrence l’ECO, qui devrait intervenir en 2020, en remplacement du Franc CFA encore en

vigueur. C’est une excellente initiative à saluer et on a envie d’ajouter : oui « il faut faire ! »,

pour paraphraser l’éminent Professeur Congolais Théophile Obenga, qui considère à juste titre

que les dirigeants africains hésitent trop souvent devant l’histoire, à prendre leur courage à

deux mains et à décider ! Enfin ! car quels que puissent être les arguments avancés par ses

défenseurs, le Franc CFA a été, demeure et restera toujours une monnaie de domination, voire

d’oppression d’une importante partie du continent africain.

On aurait tort de banaliser cet acte fort et patriotique que viennent de poser les chefs d’état vers

la réalisation de l’Unité Africaine sur une base économique solide avant qu’elle ne devienne

organique, malgré l’afro-pessimisme ambiant qui habite certains observateurs étrangers,

africains et afro-descendants de la diaspora. On aurait également tort de caricaturer cette

nouvelle monnaie comme une monnaie de singe par condescendance !

En célébrant le 26 mai 2013 le jubilé de l’âge d’or (50ème anniversaire) de l’Organisation de

l’Unité Africaine/Union Africaine (OUA/UA) fondée le 25 mai 1963 à Addis-Abeba en Ethiopie,

les chefs d’états africains, après avoir rendu hommage aux pères-fondateurs du Mouvement

Panafricain et des Mouvements de Libération Nationale, et rappelé le rôle, les efforts et

sacrifices historiques qu’ils ont joués et déployés ; après s’être s’inspirés de leur vision, de leur

sagesse et de leur combat, y ont pris des engagements très importants dans une « Déclaration

solennelle sur le cinquantième anniversaire de l’OUA/UA ». En effet, dans l’agenda

consacré à l’intégration africaine, les chefs d’états se sont résolument engagés à, je cite :

• « Accélérer la mise en œuvre de la zone de libre-échange continentale, assurer la libre

circulation des biens, en mettant l’accent sur l’intégration des marchés locaux et

régionaux, et faciliter la citoyenneté africaine en vue de la libre circulation des personnes

par la suppression graduelle des obligations de visa ;

• Accélérer les mesures visant à bâtir une Afrique unie et intégrée par la mise en œuvre de

nos cadres communs de gouvernance, de démocratie et des droits de l’homme, avancer

rapidement vers l’intégration et la fusion des Communautés Economiques Régionales en

tant que piliers de l’Union. » (Fin de citation).

Le rêve des pères fondateurs du Panafricanisme, de l’Unité Africaine et des Etats-Unis

d’Afrique, passe inéluctablement par une indépendance culturelle, économique et militaire. Il

s’agit de bâtir notre avenir en nous fondant sur un Paradigme Africain décomplexé de toute

tutelle intellectuelle ou culturelle. Le Professeur Cheikh Anta Diop disait qu’il fallait « basculer

l’Afrique sur la pente de son destin fédéral ». Pour cela, il faudra bien que l’Afrique recouvre sa

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dignité en s’appuyant sur le ressort de ses traditions pour rebondir vers une Renaissance

Africaine.

Les puissances économiques et militaires mondiales, ont également commencé par prendre

des décisions historiques majeures dans des conditions loin d’être optimales, et comparables à

bien des égards à celles qui prévalent actuellement en Afrique. L’Union Européenne a démarré

son travail d’unification douze années seulement après la terrible guerre mondiale de 1939-

1945 aux conséquences dramatiques, avec le fameux traité de Rome, qui a créé la

« Communauté Economique Européenne (CEE) en 1957, une organisation supranationale avec

6 pays seulement, en l’occurrence l’Allemagne Fédérale (Allemagne de l’Ouest), la Belgique, la

France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. Des pays exsangues économiquement, que le

fameux Plan Marshall d’après-guerre des Etats-Unis d’Amérique a aidé à se relever. Chaque

pays conservait encore sa propre monnaie : le Deutsche Mark (DM) en Allemagne, le Franc

Belge (BEF) en Belgique, le Franc Français (FRF) en France, la Lire (ITL) en Italie, le Franc

Luxembourgeois (LUF) au Luxembourg et le Florin Néerlandais (FL) aux Pays-Bas. Mais les

Européens ont fait ! Ils ont fait leur Marché Commun pour mener une vraie intégration

économique. Le développement économique n’était ni linéaire ni uniforme, la cadence était

inégale dans toute l’Europe, dans et hors de la zone CEE. Le décalage économique qui existait

entre l’Allemagne et l’Italie, ou entre la France et le Portugal, était comparable à celle qui existe

aujourd’hui entre l’Afrique du Sud et le Mozambique, ou entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso

ou le Niger. Il en résulta comme corollaire, beaucoup de mouvements migratoires dans des

années 60 jusqu’au milieu des années 80, le flux allant des pays du sud, moins nantis vers

ceux du nord de l’Europe plus développés. Les pays faibles étaient tirés par les plus forts.

Néanmoins, les Européens ont fait ! Ils sont même passés à la vitesse supérieure en créant

l’Acte Unique en 1986. Ils passèrent ainsi de six (6) pays à douze (12) avec de nouveaux

adhérents, en l’occurrence le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni, la Grèce, l’Espagne et le

Portugal. Pourtant, pendant cette période cruciale, surtout suite aux conséquences

économiques désastreuses découlant des deux chocs pétroliers de 1973 (guerre Israël/Arabes

du Jom Kippur) et de 1979 (renversement du Schah Reza Pahlevi d’Iran par la révolution

dirigée par l’Imam Khomeiny), l’Euroscepticisme était marqué même au sein des sociétés

européennes. Cet Acte Unique de 1986 modifia le traité de Rome de 1957, pour ouvrir la voie à

la création du Marché Unique de l’Union Européenne (UE) tel que nous le connaissons

aujourd’hui.

Six (6) ans après la signature de l’Acte Unique, les pays européens ont réussi à créer l’UE par

un « Traité sur l’Union européenne (TUE) » signé à Maastricht (Pays-Bas) le 7 février 1992,

lequel traité est entré en vigueur le 1er novembre 1993. Une zone de libre échange

économique avec une monnaie commune l’Euro fut décidée. Pour en être membre, il fallait

respecter 4 critères de convergence économique, qui sont :

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1. Une stabilité des prix

2. Des finances publiques saines et viables

3. Une stabilité du taux de change et

4. Des taux d’intérêts gendarmés sur le long terme.

A sa création, l’UE ne comptait donc que 12 pays. Aujourd’hui ils sont 28 avec 5 autres

demandeurs d’adhésion, malgré une demande de sortie du Royaume-Uni (BREXIT) en

instance.

Depuis la création de l’UE jusqu’à maintenant, les critères de Maastricht n’ont jamais pu être

respectés par tous les pays de zone Euro. On a fonctionné avec des compromis, au risque de

compromettre la viabilité même de la zone. Aujourd’hui, dans cette organisation

économique qui comptabilise 26 années d’existence, aucun des 28 pays ne respecte

intégralement les quatre critères de convergence définis en 1992 à Maastricht ! Quelques

exemples en sont l’illustration, en prenant le critère le plus déterminant relatif aux « Finances

publiques saines et viables » : L’Allemagne qui est la première puissance économique de

l’Europe, avec une dette publique en 2018 à hauteur de 61% de son Produit Intérieur Brut

(PIB), dépasse le taux maximum de 60% fixé par les critères de Maastricht ; pendant dix-sept

(17) années successives (de 2002 à 2018) ce pays n’a pas réussi à respecter ce critère de

convergence. En 2018, le Royaume-Uni 2ème puissance économique d’Europe traine une dette

publique de 87% de son PIB, la France, 3

ème puissance économique d’Europe en est encore à

98,40% d’endettement par rapport à son PIB, la Grèce à 181%, l’Italie à 132%. Malgré le non-

respect des critères de convergence par les 28 pays européens, l’UE et l’Euro se portent bien

et l’économie européenne est devenue, selon les études les plus récentes de 2018 publiées sur

la situation économique mondiale par le Fonds Monétaire International (FMI), la seconde

puissance économique du monde, avec un PIB de 22.023 milliards de Dollars US ($US),

derrière la Chine devenue la première puissance économique mondiale avec 25.270,07

milliards de $US. Les États-Unis d’Amérique viennent maintenant d’être recalée en 3ème

position avec un PIB de 20.494,05 milliards de $US.

Les pays africains de la CEDEAO qui ont décidé de mettre en place leur propre monnaie

commune, l’Eco, sont au nombre de 15 et totalisent un PIB global de 1.729 milliards de $US,

qui les placerait en 19ème position des puissances économiques du monde devant l’Iran, la

Thaïlande et l’Australie. Pour un départ, c’est déjà honorable. N’oublions pas que de six (6) à

douze (12) et finalement 28 pays, l’Union Européenne s’est bâtie sur une longue période

de soixante-deux ans (62) ans ! Concédons alors à la CEDEAO et à l’Afrique un minimum de

période de gestation. L’essentiel c’est encore une fois de faire !

Parallèlement à la CEDEAO avec sa monnaie commune, une Zone de Libre Echange

Continentale (ZLEC), est en train de prendre forme de manière encourageante. C’est un projet

de zone de libre échange économique devant regrouper à terme 55 pays africains. Elle

fédérerait les organisations existantes à travers le continent, entre autres, le marché commun

de l’Afrique Orientale et Australe (COMESA), la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), la

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Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), la Communauté des Etats de

l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union du Maghreb Arabe et la Communauté des Etats Sahélo-

Sahariens. Pour lancer la ZLEC, il fallait un minimum requis de 22 états à en ratifier le traité, ce

qui est maintenant chose faite depuis le 29 avril 2019. Le PIB des 55 pays africains devant

composer la ZLEC serait de 6.801 milliards de Dollars US à fin 2018 (selon les chiffres de 2018

du FMI), plaçant cette organisation continentale au 5

ème rang des puissances économiques du

monde, derrière la Chine 1

ère, l’Union Européenne 2

ème, Les Etats-Unis d’Amérique 3

ème et

l’Inde 4

ème, mais devant le Japon (5.594,45 milliards $US), devant l’Allemagne (4.356,35

milliards de $US), devant la Russie (4.213,40 milliards de $US), devant l’Indonésie (3.494,74

Milliards $US) , devant le Brésil (3.365,34 milliards de $US), devant le Royaume-Uni (3.037,79

milliards de $US) et devant la France (2.962,80 milliards de $US).

La monnaie unique de la CEDEAO et la zone de libre-échange de la ZLEC continentale

marquent un jalon historique dans la marche de l’Afrique vers une indépendance réelle, aux

plans économique, culturelle et plus tard militaire. L’Afrique ne peut compter et être prise au

sérieux, au plan mondial, que si elle est vraiment forte. Une monnaie doit s’appuyer sur une

Charte de Valeurs éthiques, sociales et culturelles, dans la recherche du mieux-être pour

les populations qui s’en servent comme outil de production et d’échange. La Maât dans

l’Egypte Antique Noire, constitue une excellente synthèse de toutes ces valeurs, dans

lesquelles se reconnaitront tous les peuples d’Afrique et de sa Diaspora. La Maât est

symbolisée par une femme, dans la mythologie Kamite (Egyptienne), comme incarnation de la

déesse de l’ordre, de l’équilibre du monde, de l’équité, de la paix, de la vérité et de la justice.

Elle est l’antithèse de l’Isfet qui est chaos, injustice et désordre social. La Maât symbolise la

norme universelle, à savoir l’équilibre établi par le Créateur, la justice qui permet d’agir selon le

droit, l’ordre qui fait conformer les actes de chacun aux lois, la vérité, la droiture et la confiance.

Le plus grand hommage que les chefs d’états africains pourraient rendre au Professeur Cheikh

Anta Diop qui a décomplexé l’Afrique, ainsi qu’aux pères fondateurs du Panafricanisme, c’est

de donner à cette nouvelle monnaie un nom fédérateur, dans lequel tous les peuples du

continent africain et de sa diaspora se reconnaitraient. Le nom de la monnaie devrait porter le

nom de Kemt (et non de Eco !), du nom que nos ancêtres donnaient à l’Afrique Antique, que

les anciens Grecs ont appelé EGYPTE, mais que les colonisateurs européens ont réduit à ce

petit pays de 1.001.450 km2 que nous connaissons aujourd’hui. Kemt d’Afrique Noire a généré

la première civilisation du monde et la plus rayonnante des cultures jamais connues dans

l’humanité. Pour Cheikh Anta Diop, hommage ne pourrait être plus sublime.

Pr. Aliou Diack

Ingénieur Génie Civil

aliou.diack@gmail.com

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