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Des DÉbats Et Des Fractures, Mais Encore…

Des DÉbats Et Des Fractures, Mais Encore…

Un constant s’impose : le Sénégal est un terreau fertile pour le débat. Une matière première  pour les acteurs de la vie publique. D’ailleurs Dakar est un hub du débat. A première vue, on pourrait tomber naïvement dans le rapprochement “débat, liberté d’expression, démocratie”. Ce raccourci facile et lapidaire qui peuple les résolutions de certains séminaires.

Depuis quelques semaines, l’espace médiatique est inondé par des discussions avec des sujets qui (dé) mobilisent tout en mettant sur le curseur des controverses – utiles – mais aussi des fractures qui méritent d’ être interrogées. Ces propos, s’inscrivent dans une subjectivité assumée, une opinion critiquable car le sens de ce qui se passe reste ouvert.

Le processus est en cours, il se transformera  sans cesse, il fera déjouer toute tentative de le circonscrire dans un cadre  fermé… Toutefois, il est aisé de retenir un certain nombre de choses.

 Le clash pour exister : selon certains analystes, comme Christian Salmon, nous sommes à “l’ère du clash”. Cette pratique, dont l’un des plus grands praticiens est le président américain Donald Trump, consiste à faire  usage du tacle pour créer le spectacle, afin d’attirer l’attention du public en transgressant les règles habituelles.

Dans l’arène médiatique sénégalaise, s’il existe quelqu’un qui use et  abuse de cette  tactique trumpienne c’est bien Ahmed Khalifa Niasse. En fin observateur de la scène publique, il  maîtrise  le fonctionnement de la machine médiatique; elle est friande de “buzz” et de spéculations.

La transgression comme posture, avec malice il se donne libre cours. Il provoque pour susciter la polémique et exister dans les médias; quitte à faire sienne l’indécence folle des attaques. Un partisan du clash comme Ahmed Khalifa Niasse multiplie les sorties,  attaque pour générer de la confusion et il choisit sciemment les sujets consensuels. Ce qu’il cherche, ce n’est plus la lumière dans les idées – même s’il est fort en  syllogisme – mais le bruit médiatique pour d’autres enjeux.

Dans  ce même lot, on  retrouve  Moustapha CisséLô,  El Hadj Diouf, l’avocat, et des chroniqueurs qui ne crachent que du vide. Ils n’existent que par les médias et chaque débat est un combat de catch pour eux…Certains observateurs pourraient inclure dans cette catégorie Adama Gaye ou encore Guy Marius Sagna. Cependant, les deux sont dans le story, ils ont un récit cohérent par rapport à leurs engagements. Le premier s’inscrit dans la dénonciation de la gestion des ressources naturelles; tandis que le second emprunte  les sillons tracés par les combattants de l’impérialisme.

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Ils ne sont des adeptes de la provocation que pour mieux habiller leurs luttes. Sous ce rapport leur séjour carcéral n’est qu’une ruse des pouvoirs politiques pour court-circuiter leur récit – basé sur du factuel –  qui risquerait d’éveiller ceux qui s’intéressent à ces controverses.

Soupçon et discrédit : la  boulimie du débat fait apparaître des fractures. La plus visible, ces derniers jours,  est celle sur la question du voile à l’Institut Sainte Jeanne d’Arc.

Au delà  des jeux de compromis et de compromissions  des représentants de l’Etat sur cette question, il serait plus intéressant de se pencher sur la réaction des acteurs de ce débat comme l’historienne Penda Mbow. Dans un texte intitulé “J’ai mal pour le Sénégal”, aux allures de réquisitoire, elle écrit : “notre société devient tellement intolérante et anti-intellectuelle qu’on se demande s’il est nécessaire de partager et de débattre”.

Celle qui a enseigné pendant plus de 30 ans “l’histoire du moyen musulman” subit le soupçon et le discrédit qui touchent les institutions. Même l’université n’est pas épargnée. Dans un autre registre sa récente absence du débat, avec sa casquette d’historienne, altère sa lecture des nouvelles formes de  prise de parole dans l’espace commun.

Oui, l’inflation énonciative que favorise le numérique  donne une place à ceux qui “ironisent sur tout, désacralisent tout” pour reprendre ses mots. Oui, le droit de mal penser se développe. Oui, sur les réseaux sociaux des avis gangrenés par des certitudes commencent ou se terminent par “je ne débats pas”. Oui, la trollosphère rigole de tout, oublie votre statut.

Oui, les plateformes du numérique accentuent les phénomènes et le lynchage collectif est de plus en plus communautaire.

Toutefois, cette attitude ne signifie pas crédulité. Les universitaires devraient, avec l’écosystème numérique, se départir de  cette sorte de mépris des classes. L’université n’a plus le droit de se cloitrer dans son inertie, sa distance et sa suffisance. Participer aux débats est une exigence du service à la communauté.

Cependant, comprendre la grammaire des échanges sur ces plateformes permettrait d’éviter certaines collisions. Sur les«internets», l’expertise se ridiculise en voulant se comporter comme dans son milieu d’origine. Ce chamboulement est à prendre comme normal, même si la perte du monde connu peut faire mal. Les institutions seront davantage discréditées, elles survivront en s’adaptant.

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“Soupçon et discrédit” : ces deux substantifs pourraient résumer le brouillard informationnel autour de la publication des premiers tomes de l’Histoire Générale du Sénégal. Le Pr Iba Der Thiam, qui a dirigé ce vaste projet a reçu des critiques corrosives remettant en question parfois son expertise. Il a eu le mérite de coordonner ce projet,même si la méthodologie laisse apparaître des failles.

Discrédit? Non. Son parcours académique et son humilité à reconnaître certaines errances scientifiques prouvent sa bonne intention. Champ de bataille idéologique, l’histoire nous apprend aussi sur nos fractures. Chaque communauté veut sa part du “tong tong” oubliant ainsi une évidence: le passé ne s’est pas fait seulement avec des personnes qui n’auraient accompli que du positif.

Dès lors, rejeter tout le travail coordonné par le Pr Thiam revient à ne jamais terminer cette entreprise. Si elle se veut officielle, l’ histoire évite les compromis et les embellissements qui sont propres à l’épopée. Elle n’est pas un théâtre de revanche sociale. Et Birago Diop de renchérir avec cette mise en garde tirée de la bibliothèque de l’oralité “quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plaît”.

L’histoire du pays a été faite par les rois, les reines, les ceddos, les marabouts, les artisans, les traîtres…

Un pont est vite jeté entre cette écriture de l’histoire du Sénégal et la figure de Cheikh Anta Diop. Les échanges épistolaires, portant principalement sur lui, entre l’écrivain Boubacar Boris Diop et le philosophe et universitaire Souleymane Bachir Diagne ont déçu par le ton personnel qui ressemble fort à une querelle des égos. Certains commentaires ont même évoqué le rejaillissement des litiges entre l’Egyptologue et le poète Léopold Sédar Seghor.

Malheureusement, ces derniers partagent le même sort ; ils sont plus cités que lus. Pour les saisir, il faut faire le tour de leur production: ils ont bâti des œuvres. Par ailleurs, ceux qui se délectaient des échanges entre Boris et Bachir étaient, dans leur majorité, plus obnubilés par les  coups fourrés dans la rhétorique que par les problématiques soulevées. Les lecteurs n’étaient pas exigeants, à force de se débattre dans la médiocrité.

Un renouvellement des formats de l’information : le rôle prégnant des médias a toujours été au cœur des grands débats. Or, il est peu de dire qu’il existe une mutation dans la diffusion de l’information. Sous cet angle, il est loisible de prendre comme exemple l’invitation faite par le parlement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à un “Snapeur” pour couvrir un de ses événements. Cette nouvelle figure nous renseigne sur le renouvellement de l’espace médiatique.

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Ce personnage, rejeton du couple “journalisme de compte rendu”- Tech, cloné par le président du parlement de la Cedeao, est le miroir qui renvoie aux journalistes les mutations de leur secteur. Il donne un aperçu sur la méfiance des médias; une sorte de discrédit.

Depuis des années, les acteurs du système médiatique ont laissé pourrir la situation, sous le regard complice des décideurs. Toutefois, s’attaquer à ce personnage qui aurait par infraction basculé la quiétude de ceux qui sont “professionnels” serait méconnaitre les racines du mal.

Ce “snapeur ” à ses cibles et ceux qui font appel à lui cherchent de la visibilité. Sous ce rapport, une bonne occasion se présente pour faire avancer des chantiers comme le code de la presse, la convention des journalistes, les conditions de travail dans les rédactions. Il s’y ajoute aussi cette nécessité de s’adapter aux changements; même si rester fidèle aux fondamentaux du métier demeure une armure. A ce titre, il faut magnifier le travail de ceux qui s’inscrivent encore dans l’idéal du journalisme et saluer des initiatives comme “La Maison des Reporters”.

Sous un autre angle, la pratique du débat met en lumière des commentateurs professionnels à travers des émissions de talk show. C’est le règne des chroniques et éditoriaux, si prévisibles allant jusqu’à prendre l’allure de marronniers. Les nouvelles retrouvailles consistent à créer des engueulades artificielles pour maintenir l’attention du  public avide de “divertissement”.

La recette est simple: hystérie, intox, commentaire du commentaire concernant les polémiques, partialité affirmée et toujours quelqu’un qui joue le rôle du sage…les médias deviennent le temps de ces “débats” nos propres caricatures…

Au demeurant, il est loisible de  remarquer que dans ce texte, nullement les mots comme  citoyens, Républiques ou encore espace public ne sont utilisés. Ils sont une sorte de constellation de sens et leur utilisation abusive cache, plus qu’elle ne révèle, les réalités qu’ils désignent. Certes, il nous faut  des débats pour  mieux comprendre nos fractures, mais encore plus de lucidité afin de faire sens.

Sahite Gaye est enseignant chercheur en sciences de l’information et de la communication 







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