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La Communication Gouvernementale Face Au Coronavirus: Une Rhétorique Guerrière pour Relever Le Niveau De La Riposte ! (alioune Badara Gueye)

A n’en pas douter, nous sommes dans un point de bascule ! « La crise actuelle est une épreuve de vérité pour la mondialisation ». Cette phrase que nous empruntons à Jean Christophe GRAZ nous rappelle le contexte dramatique dans lequel, le monde contemporain est plongé, depuis quelques mois. Le monde est en guerre contre « un ennemi vicieux, mortel et invisible à l’œil nu » 

Le Coronavirus fait des ravages et gagne du terrain, chaque seconde qui passe. Déclenché en chine en décembre 2019, l’accélération et l’intensification de ce virus ont engendré une contamination qui a gagné la planète, titillant les systèmes de santé les plus robustes et les plus perfectionnés au monde. « L’infiniment petit a fait trembler le monde entier de façon brutale, rapide et massive » pour reprendre le Président Macky Sall dans son allocution du 23 mars 2020. Sa gravité met à mal bien des certitudes que beaucoup tenaient, jusqu’à il y a peu, pour évidentes. Face à cette situation d’urgence sanitaire, les observateurs les plus avertis s’interrogent sur l’action des gouvernants, d’autant plus que jamais dans l’histoire de ce 21ème siècle, l’État n’a été autant sollicité pour trouver des solutions illico afin de mobiliser ses troupes dans la « guerre mondiale » contre le COVID 19. 

Cette sollicite est une sorte d’inclination traditionnelle qui requerrait que les pouvoirs publics prennent conscience de leur rôle historique de garant de la sécurité sanitaire de leurs populations, en tous lieux et en toutes circonstances. Mais entre ceux qui reprochent à l’État de ne pas en faire assez pour des raisons économiques et ceux qui pensent qu’il en fait trop pour des raisons politiques, entre éviter de dramatiser, pour ne pas engendrer les phénomènes de psychose voire de panique, et prendre l’ensemble des mesures indispensables, sans arrêter totalement le pays et compromettre son développement économique, le gouvernement du Sénégal est, sans façon, sur un chemin de crête très étroit. 

Par-delà les facteurs de répulsions et d’attractions, le Président Macky Sall prend des décisions salutaires depuis le début de cette pandémie. En déclarant l’état d’urgence, le couvre-feu, la limitation des déplacements…, il assume la plénitude des pouvoirs que lui confère le peuple, en ces circonstances exceptionnelles. Heureusement qu’il ne s’agit ni de gains, ni de pertes dans un jeu à somme nulle, encore moins d’instances additionnelles de gouvernance à côté du rôle traditionnel de l’État, siège de la confiance des sénégalais. 

 Pourtant, dans le flou des interrogations sur la pertinence de la posture du Président Sall qui s’éloigne, par moment, de l’analyse des experts sanitaires pour représenter l’avatar contemporain des cogitations sur la maladie, on perçoit une organisation systématisée des instruments de diffusion pour faire face au Coronavirus. Une attitude volontariste qui doit être mise au crédit de l’État sénégalais qui s’organise en bloc d’autant plus qu’il sait, évidemment, que même si les décisions qu’il prend sont motivées par les avis des experts médicaux, des relais locaux ou des corps intermédiaires, il portera seul la responsabilité d’un éventuel échec. Les acteurs étatiques s’expriment donc en suivant la matrice des croyances en la puissance persuasive des médias. On peut ajouter, à propos de cette crise sanitaire inédite, que le Président semble finalement être conscient du fait que la mise place de dispositifs de gestion de la pandémie doit être non seulement exemplaire, mais doit, en même temps, être accompagnée d’une bonne conduite de la communication de l’évènement pour éviter de laisser une impression de fiasco. De ce creuset pandémique, l’État du Sénégal s’efforce, depuis le mois de février, d’établir une cohérence d’ensemble dans la communication des intervenants (médecins, gouvernements). 

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N’étant pas préparé à subir une telle crise et n’ayant pas le matériel nécessaire pour en faire face, l’État sénégalais a recours à la communication pour expliquer les gestes barrières (l’effort de guerre) afin de responsabiliser les populations. Ces dernières doivent, selon les autorités (scientifiques et politiques), être à l’avant-garde du combat contre le COVID 19, en dépassant les vécus individuels rattachés aux convictions politiques ou religieuses. En réalité, le recours à la communication pour donner sens et unité à l’action des pouvoirs publics est symptomatique d’une certaine configuration de l’État que l’on n’aura pas du mal à qualifier d’État communicationnel qui doit notamment être considéré comme la figure spécifique de l’État en temps de crise. Celle qui assume la gravité de l’instant. 

Cependant, pour qu’il puisse s’affirmer comme le moteur des transformations de l’heure et de l’histoire qui se vit, il doit être au cœur du mouvement naturel de la société, qu’il organise et qui lui donne un sens par le biais de la « communication gouvernementale institutionnelle ». Nous utilisons ici cette expression empruntée à Caroline Ollivier-Yaniv qui considère la communication gouvernementale comme un ensemble de messages diffusés le plus souvent au moyen d’outils de communication de masse, au nom de l’intérêt général.  Mais au fond, dans le cas de la lutte contre le Coronavirus, l’État du Sénégal utilise cette stratégie de communication qui met l’acteur-citoyen face à ses responsabilités individuelles ; lesquelles l’invitent à se protéger et à protéger sa communauté. Une invite qui s’appuie sur une rhétorique qui voudrait que tout ce qui peut affecter cette entreprise remet directement en cause le mouvement séculaire de solidarité sanitaire de la nation et menace les chances de faire entrer l’universel dans le particulier.

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Pour se positionner comme expert au moment où tout le monde n’a pas encore cédé à la panique, l’État utilise un ton guerrier : « l’heure est grave », « Restez chez vous », « la pandémie est là ». Cette forme de communication alarmante de l’État du Sénégal s’appuie sur un ton adapté qui joue sur le registre de la peur pour amener les populations à prendre conscience de leurs responsabilités historiques dans la lutte contre la propagation du virus. Cette communication est donc censée répondre à des besoins d’informations et permettre à l’État de remplir certaines missions vis-à-vis des citoyens. Dans les médias nationaux, la campagne de communication et de sensibilisation sur cette urgence sanitaire mondiale met l’accent sur la capacité du pays non pas à gérer la pandémie qui n’a pour le moment qu’une faible réalité (moins de 100 cas connus sur plus de 15 millions d’habitants) dans notre pays, mais à montrer que nous sommes au plus près du terrain, au plus près du virus. Que le principe de précaution préside à toutes nos décisions. Un principe légitimé dans la rhétorique étatique par la nécessité et le devoir de l’État d’informer les citoyens de leurs droits et devoirs, mais encore de modifier les attitudes et comportements des individus en société pour le bien de tous.  Ce que je nomme ici le principe du « bienveillance de tous au profit de tous ». 

A cet égard, l’enjeu essentiel de la communication gouvernementale, et donc de l’implication de la communication dans la conduite du changement des habitudes et des comportements se trouve, comme le décrit Serge Graziani, dans la forme symbolique que tend à engendrer la communication. Celle-ci s’appuie sur les technologies de l’esprit (pour reprendre Lucien Sfez) qui forment un ensemble solidaire de processus de raisonnement, qui supplantent les structures classiques de la logique du discours pour influer directement sur la perception et l’appréhension du réel. Cette construction sociale de la réalité qui effraie les populations en surjouant la mise en place d’un dispositif afin d’anticiper les contre-vérités colportés notamment dans les réseaux socio-numérique est le moyen utiliser par le gouvernement pour advenir à une modification radicale des habitudes et des comportements. Légitimement, en communicant sur la gestion de l’alerte, l’État utilise le pouvoir absolu que lui reconnait, dorénavant le peuple, pour imposer des mesures dans lesquelles il explique les mouvements qui pourraient se succéder si la crise sanitaire venait à s’aggraver. Il s’appuie, pour ce faire, sur une rhétorique qui place le discours dans un registre guerrier qui invite chaque citoyen à s’approprier les mesures et à adopter le comportement prescrit par les experts médicaux. Une attitude patriotique assimilable à un effort de guerre pour combattre le COVID 19. 

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Dans bien des cas, l’intériorisation des recommandations permet d’endiguer la crise en ne laissant « au virus ni la vie, ni nos vies ». Ce qui place sur orbite les acteurs étatiques dont la communication devient efficace dès lors qu’elle place l’intérêt général au centre du discours et s’éloigne de la démesure des intérêts privés. Quoi que tout problème ne puisse être résolu par la communication !

 

Alioune Badara Gueye

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