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Nouvel Ordre Mondial, Aubaine Ou Poisse ? (cheikhouna Ndiaye)

L’avènement de COVID-19 est estampillé de tendances prospectives au profit d’un lendemain incertain qui se profile à l’horizon. Nous en trouvons l’illustration dans le discours de l’élite mondiale qui rouspète à cause d’un statuquo de mauvais augure à l’encontre d’un système failli, et tant encensé du pupitre de la globalisation libérale. Dans ce sillage, le Président de la République du Sénégal, Monsieur Macky Sall monte au créneau en faveur d’un ‘’nouvel ordre mondial’’. Une plaidoirie insinuant un avenir meilleur grâce à sa formule magique, en l’occurrence le nouvel ordre mondial. Et en analysant ce terme, historiquement et géopolitiquement, une série de questions nous taraude l’esprit portant sur une telle attitude du président d’un pays africain pauvre. Mais, tout d’abord nous allons mettre en exergue la notion de l’ordre mondial, puis la chronologie et la théorie du nouvel ordre mondial, ensuite la nature des relations internationales.

LA NOTION DE L’ORDRE MONDIAL

Compte tenu du fait que l’interaction des acteurs de la scène internationale se distingue d’agitations à cause des intérêts croisés, il y a toujours la volonté de mettre sur pied une série de lois et de valeurs régissant la conduite des acteurs, et définissant leurs priorités et leurs options qui se traduisent en morales et procédures à se conformer. En d’autres termes, une sorte d’organisation collective, à un moment donné, en fonction de paradigmes diplomatiques, économiques, juridiques, militaires, culturels et civilisationnels à vocation universelle. Et on en déduit qu’il y a quatre caractéristiques intrinsèques à l’ordre mondial :

Premièrement : l’universalité : l’ordre mondial a toujours le cœur à réduire le monde à un village planétaire estompant les identités distinctives des nations, les frontières, la souveraineté des Etats sous l’ombre d’une unité chimérique qui modélise les relations politiques, commerciales, culturelles et idéologiques.

Deuxièmement : l’asymétrie : les acteurs les plus influents sont toujours en charge de l’instauration de l’ordre ; en conséquence leurs valeurs et intérêts tiennent le haut du pavé. Et les plus faibles y mènent les poules pisser : des relations hors de proportion.

Troisièmement : l’interaction : le suc de l’ordre établi consiste en le dynamisme des acteurs, établissant des liens fructueux, toute proportion gardée, en fonction des stratégies bien définies : anti-isolement. 

Quatrièmement : l’absence de pouvoir suprême : le caractère le plus patent de l’ordre mondial s’agit de l’anarchie en termes de la prise et de l’application de décisions ou de sanctions : la dissension règne en maître, notamment dans le cercle des acteurs les plus influents.

Et ceci ouvre une brèche vers la chronologie et la théorie du nouvel ordre mondial dans le but de mettre en relief son essence dans les relations internationales, et l’opportunité qui en découlerait.

LA CHRONOLOGIE ET LA THEORIE DU NOUVEL ORDRE MONDIAL

Le nouvel ordre mondial s’identifie à chaque période caractérisée d’un changement radical, post-crise, dans la pensée politique mondiale et l’équilibre des puissances (balance of power) dans la scène internationale. C’est la raison pour laquelle la genèse de cette idéologie trouve une partie de sa racine dans la période de la Renaissance européenne marquée de l’exacerbation des conflits et guerres entre des entités européennes. D’où, des penseurs et philosophes proposèrent des projets de réconciliation dans le but de mettre en œuvre un système garantissant la paix et la sécurité. Et ces projets pourraient être divisés en deux catégories.

Première catégorie : l’Ecole latine : les figures emblématiques de ce courant furent Pierre Dubois (1250 – 1321), Maximilien de Béthune, duc de Sully (1560 – 1641), et Emeric Crucé (1590 – 1648). Et cette école prôna la mise en œuvre d’une organisation internationale régie par des lois à l’instar d’un gouvernement central adjugé des compétences législatives, judiciaires et exécutives, ainsi que de moyens de répression et de coercition pour que ses décisions soient appliquées sur les Etats membres.

Deuxième catégorie : l’Ecole anglo-saxonne : les pionniers de cette tendance furent William Penn (1644 – 1718), et Jeremy Bentham (1748 – 1832). Ce courant se pencha sur une organisation internationale promouvant la coopération entre les pays sans recours à la répression ou à la coercition. 

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Toutefois, ces projets se limitèrent à la sphère européenne, même si la vocation consista à mettre en oeuvre une cohabitation pacifique. Par exemple, Pierre Dubois jugeait, dans son traité intitulé « De la Récupération de la Terre-Sainte », la nécessité d’une nouvelle invasion croisade contre le monde orient. De la même manière que Sully, son projet de l’union des pays européens grillait d’envie de mettre en place une armée européenne face à l’Empire ottoman.

En ce qui concerne la pensée politique arabo-musulmane, ne restait pas également en carafe, comme le livre de Abu Nasr al-Fârâbî (872 – 950) intitulé « Opinions des Habitants de la Cité vertueuse » l’atteste : une organisation mondiale en charge des affaires de l’humanité. Et Abdu Rahman al-Kawâkibî (1848 – 1902) s’inscrit dans le même ordre d’idée comme son livre, intitulé « Ummul Qorâ », le prouve.

Mais, l’avènement de l’Etat-nation à partir des ‘’Traités de Westphalie’’ a marqué de son estampille le devenir des relations internationales basées sur l’action collective pour répondre à une série d’exigences dans le domaine sécuritaire, scientifique, et industriel conformément aux paradigmes de la nouvelle vie internationale. Et le Congrès de Vienne (1815), en ayant cherché à établir un nouvel ordre pacifique, donnait l’opportunité aux micro Etats d’y prendre part, mais ces derniers y subissaient de traitements disproportionnés de la part des grandes puissances. Cependant, cette action internationale cordonnée restait strictement européenne jusqu’en 1856 lorsque l’Empire ottoman fut autorisé de prendre part à la communauté internationale via le Traité de Paris qui mit fin la guerre de Crimée. Mais, quasiment l’ensemble des Congrès ayant eu lieu au XIXe siècle, Congrès de Vienne de 1815, Conférence de Londres de 1871, les Conférences de Berlin (1878, 1884 et 1885), servait un concert inter-Etats européens concernant l’équilibre des puissances et les règles régissant la concurrence coloniale et le partage du monde commençant par les régions islamiques rattachées à l’Empire ottoman aux Balkans et en Serbie, pour terminer en Afrique. Mais, les deux Conférences de La Haye (1899 et 1907) a changé la donne positivement à l’avantage d’autres entités en dehors du continent européen dans la mesure où quarante-quatre Etats y prenaient part, y compris la plupart des Etats d’Amérique latine : Un évènement marquant le début de la montée des micro Etats vers l’espace international.

En dépit de tous ces efforts politiques, la Première Guerre mondiale a mis à nu l’ordre international basé sur la théorie ‘’Balance of power’’. Par conséquent, beaucoup de projets ont vu le jour en 1915, en l’occurrence ‘’Suggestions pour Eviter la Guerre’’ de la part des associations de la paix en Angleterre, ‘’Ligue pour la Défense de la Paix’’, aux Etats-Unis, dirigé par William Howard Taft. La France a également mis sur pied un comité gouvernemental, dirigé par Léon Bourgeois dans l’optique de présenter une formule pour organiser la scène internationale via une brochure intitulée ‘’League of Nations’’. Ainsi que les quatorze points de Thomas Woodrow Wilson, confirmés par lui-même le 2 avril 1917 dans son discours devant le Congrès américain annonçant l’entrée en guerre des Etats-Unis contre Allemagne au nom d’une souveraineté mondiale et d’un monde libre en paix et sécurité : un nouvel ordre mondial. D’où, la ‘’Société des Nations’’ est introduite par le Traité de Versailles en 1919.

 En revanche, ce plateau international a mordu l’hameçon, mis à nu par la Seconde Guerre mondiale. Et en cherchant une aiguille dans une meule de foin, au lendemain de cette horreur planétaire, les vainqueurs mettent en œuvre une nouvelle plate-forme au service d’une stabilité stratégique dans les relations internationales, en l’occurrence ‘’Nations Unis’’. Cette dernière étant en charge, théoriquement, de la paix et de la sécurité mondiales dans un monde bipolaire se trouvera, durant presqu’un demi-siècle, entre le marteau et l’enclume : les deux antagonistes de la Guerre froide. L’après-victoire à la Pyrrhus, les Etats-Unis se charge de la redéfinition de la marche du monde conformément à l’ordre unipolaire : une hégémonie américaine ! Et la promotion du Nouvel Ordre Mondial constituait la moelle de la stratégie de George Herber Walker Bush dans sa politique étrangère, comme nous en trouvons l’illustration dans la plupart de ses speechs à vocation internationale : « The United States is ready to welcome the Soviet Union back to into the World Order », en invitant l’Union Soviétique à s’accorder au nouvel ordre, le 12 mai 1989. « The crisis in the Persian Gulf offers a rare opportunity to move toward an historic period of cooperation. Out of these troubled times… a New World Order can emerge in which the nations of the world », en décrivant la Guerre du Golf comme une opportunité pour la Nouvel Ordre Mondial, le 11 Septembre 1990. « …collective strenght of the world community expressed by the U.N… an historic movement towards a New World Order… a new partnership of nations… a time when humankind came into its own», en decrivant l’ONU comme un mouvement historique vers un Nouvel Ordre Mondial, le 1 octobre 1990.  « My vision of a New World Order foresees a United Nations with a revitalized peacekeeping function », élaborant sa vision du Nouvel Ordre Mondial par rapport à la mission des Nations Unis, le 6 février 1991. 

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Cette tendance estampillée d’une hégémonie unipolaire a été l’essence de la géopolitique mondiale durant la dernière décennie du XXe siècle. Quid de l’avènement du XXIe siècle ? Un nouvel ordre se profile à l’horizon : un monde multipolaire ! En fait, cette réalité devient une évidence d’axiome. En effet, les deux documents de « The National Security Strategy of The United States of America » de 2002 et 2006 affirment que les Etats-Unis d’Amérique, l’Union Européenne, la Chine, l’Inde et la Russie constituent les centres de la puissance mondiale. Dans le même sillage, le Conseil Européen, via son rapport de 2008 concernant l’application de la stratégie sécuritaire européenne de 2003, considère les Etats-Unis en tant que partenaire principal de l’Europe, envisageant d’élargir l’envergure de ses relations avec la Chine. Et en ce qui concerne la Russie, elle consiste en un partenaire important dans le traitement des enjeux aux caractères mondiaux. Et en ce qui touche l’Inde, le Conseil juge la nécessité d’accroître les sphères d’interaction. Dans le même ordre d’idée, la Russie argue, dans un document officiel intitulé « The National Security Strategy of the Russian Federation until 2020 » publié en 2009, qu’en dépit de ses efforts de mise sur pied un partenariat stratégique avec les Etats-Unis, son statut d’adversaire stratégique principal est à jour. Et le document affirme également la nécessite de booster les partenariats avec l’Union Européenne, la Chine, l’Inde et le Brésil dans l’optique de renforcer les efforts destinés à la mise en place d’un monde multipolaire.

Et l’expression « les centres de la puissance mondiale », utilisée par le document stratégique américain, met en relief des principaux acteurs constitutifs de la puissance mondiale modélisant le Nouvel Ordre Mondial, même s’il y en a ceux qui souffrent de points faibles structurels. Ce qui veut dire une volonté manifestée pour une gestion collective au niveau mondial de la part des entités différentes en termes de poids, mais indispensables pour un nouvel ordre multipolaire. En l’occurrence le « G8 », un regroupement européen atlantique, hormis le Japon, constitué de pays démocratiques et industriels, le « G20 », une entité distinguée d’une configuration géographique, politique, et économique à caractère mondial, le « BRIC », une entité susceptible, selon les prévisions, de constituer un gigantesque pôle économique ayant barre sur l’entité nordique d’ici 2050, et le « Next Eleven » (N-11) constitué de pays jouissant d’une puissance démographique et d’avantages qui pourraient leur garantir une croissance économique rapide qui les mettrait sur le pied d’égalité que « BRIC ». 

Alors, quelle forme le nouvel ordre mondial Post-corona prendrait-il ? Une forme multipolaire, plus ou moins libérale, dont l’intérêt collectif serait le catalyseur des initiatives concernant le désarment, le climat, le commerce, la résolution des conflits, la lutte contre la pauvreté, la santé, l’éducation, la souveraineté des nations, l’usage de l’intelligence artificielle etc. ? Pour répondre à ces questions nécessite de s’interroger sur la nature des relations internationales.

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LA NATURE DES RELATIONS INTERNATIONALES

La scène internationale s’agit d’une sphère interactionnelle animée de différents acteurs en termes d’influence et de responsabilité. Et l’interaction est due à divers programmes nationaux à vocation internationale, c’est-à-dire « la politique étrangère ». En d’autres termes, les relations internationales s’agissent de l’expression de diverses politiques étrangères des acteurs de la scène. Et toute « politique étrangère » s’identifie à une série de caractéristiques conformément à l’idéologie politique, économique et militaire de l’acteur. En conséquence, l’interaction est perpétuellement régie de coopération, de concurrence, de conflit, voire de guerre. Donc, c’est une plate-forme s’articulant autour de deux éléments, l’un est de nature accidentelle à son dynamisme : la stabilité. L’autre de nature intrinsèque : la tension. Et la proportion de ces deux éléments est due à l’équilibre entre l’harmonie et la dissonance de différentes politiques étrangères appliquées. Mais, rien ne garantit cet équilibre à cause d’une quête continuelle de l’hégémonie. Car, plus qu’on a l’impression d’être fort, moins qu’on se sent l’obligation de s’accorder avec les autres unités. C’est qu’en effet, même si le fait de s’accorder avec les autres unités occasionne une stabilité stratégique, on constate qu’il y a un pan, plus ou moins important, de la « politique étrangère » sacrifié. Et ce sacrifice est toujours effectué involontairement. C’est pourquoi, chaque unité se fend d’une hégémonie pour asseoir son autorité dans le but d’appliquer sa politique étrangère à la lettre. 

Alors, la stabilité est toujours de nature accidentelle dans les relations internationales : c’est-à-dire, il y a la stabilité uniquement parce qu’aucune unité n’est en mesure d’asseoir son autorité intégralement à cause de l’existence d’autres unités récalcitrantes. C’est la raison pour laquelle tout le monde juge la nécessité d’organiser un ordre régissant l’action de toutes les unités de la scène. C’est ce qui explique les Traités de Westphalie, le Congrès de Vienne, la Société des Nations, Nations Unis etc. en dépit de tous ces efforts, la scène requiert incessamment la mise à jour. Mais, cette dernière s’inscrit toujours en faveur des plus forts et plus influents, quelles que soient les raisons qui justifient son existence. En résumé, les relations internationales s’agissent de la « Lutte des Singes » (Làmbi Golo). Dans ce jeu, personne n’est à l’abri, mais le plus fort tient toujours le haut du pavé.

Et on en déduit que quelle que soit la nature du Nouvel Ordre Mondial seuls les puissants en feront de profits. Puisque c’est une sorte de redistribution des cartes. C’est à l’instar de l’évènement d’échange de coquilles dans le monde des bernard-l’hermites, vu qu’il est très difficile de trouver une coquille à la bonne taille, les bernard-l’hermites organisent une cérémonie d’échange qui regroupe les congénères souffrant de même problème. Une fois sur place, ils commencent à se mesurer les uns aux autres, en se mettant en fil du plus grand au plus petit. Mais, les plus grands s’en sortent glorieusement ayant gain de cause : des coquilles à la bonne taille. Mais les plus faibles, hélas ! C’est de la même manière que les relations internationales, les plus influents modélisent les ordres conformément à leurs intérêts et valeurs, et les faibles s’occupent de la crotte de pique. Car, le statut de chacun dans la scène détermine la nature de sa carte : atout ou mauvaise carte ne dépend que de la taille.

Tout compte fait, la reconfiguration de la marche du monde n’est guère un machin de lilliputien, c’est une tâche réservée à la cour des grands ; peu importe la nature de l’ordre, les unités moins influentes ou faibles subissent la raclée des géants, la conjoncture mondiale en est une parfaite illustration. Donc, le fait qu’il prenne le loup par les oreilles, ne reflète aucune pertinence dans l’optique de la géopolitique, il aurait eu d’autres chats à fouetter.  

Cheikhouna Ndiaye

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