Après l’agression du covid-19, le Sénégal doit se préparer à affronter la disette en milieu rural. La période hivernale qui couvre les mois de juin, juillet et août est très redoutée. L’État sera-t-il en mesure de faire, encore une fois de l’interventionnisme, et cette fois-ci, uniquement pour les paysans en leur distribuant des vivres ? Les prochains mois nous le diront. En tout état de cause le constat est amer. Soixante ans après l’indépendance (4 avril 1960 – 04 avril 2020), le pays n’a toujours pas atteint son objectif d’autosuffisance alimentaire. Et ce, pour bien des raisons diverses.
Les propos ont été attribués à un ministre de la République. Ils sont situés dans le cadre de la riposte contre le covid-19 initiée par le chef de l’État, Macky Sall. « Le riz distribué par le gouvernement est de bonne qualité : c’est du riz indien !». Si ces propos sont vrais, faut-il en rire ou en pleurer ? Ils ont aussitôt été moqués sur les réseaux sociaux. Un ministre de la République se réjouit que du riz indien de bonne qualité ait été distribué à la population sénégalaise. C’est une honte pour certains, une catastrophe pour d’autres. Car, soixante ans après l’indépendance, alors que le pays pouvait développer son agriculture pour assurer son autonomie alimentaire en se fixant pour objectif de contrecarrer la pauvreté à défaut de l’éradiquer totalement, l’on doit se glorifier de distribuer à la population du riz importé d’Asie.
Fin observateur de la société sénégalaise, le journaliste et écrivain Cheikh Yérim Seck pense que la pauvreté gagne du terrain au Sénégal parce que le pays est pauvre en ressources naturelles et minières. Il poursuit en affirmant que si la pauvreté gagne du terrain, c’est aussi à cause du manque d’un leadership politique fort et visionnaire. Enfin, il ajoute un dernier élément aussi pertinent que les deux premiers. Si la pauvreté gagne du terrain, c’est la faute des Sénégalais qui sont plus des « habitants » que des « citoyens » de leur pays. Dans ce petit pays d’Afrique de l’ouest, la pauvreté est visible notamment dans le nombre de mendiants que l’on croise partout, à Dakar la capitale, mais aussi dans les autres villes du pays. Certains Sénégalais estiment que la mendicité est un phénomène culturel propre au pays profondément musulman. Pour d’autres, telle qu’elle est pratiquée et de par ceux qui la pratiquent, la mendicité dévoile plutôt un signe de la misère qui, aujourd’hui, touche toutes les couches sociales.
Loin d’être un phénomène culturel ou religieux comme le pensent certains, la mendicité est un symptôme de la pauvreté. Et si la pauvreté s’est démocratisée dans le pays, c’est parce qu’il y a une faillite et un échec au niveau des politiques de développement mises en place par les différents régimes. Nous ne sommes pas le seul à le penser. « Notre sous-développement chronique, écrit Cheikh Yérim Seck, est avant tout l’échec d’une classe politique dépourvue de vision d’avenir, d’efficacité dans le leadership, d’orgueil national et de rage de réussir » (Cheikh Yérim Seck, Ces goulots qui étranglent le Sénégal, Paris Harmattan,2014, p. 178). Il renchérit : « Le développement est d’abord l’initiative d’un leadership volontariste et désintéressé » (p. 89).
Au Sénégal, les quatre présidents qui se sont succédés au pouvoir depuis 1960 [Léopold Sédar Senghor (1960-1982), Abdou Diouf (1982-2000), Abdoulaye Wade (2000-2012) et Macky Sall depuis 2012] ont eu un ou plusieurs projets de développement. Abdoulaye Wade, par exemple, avait un programme agricole. Il souhaitait la fin du concept de food assisting. LesAfricains ne pouvaient plus continuer à être alimentés comme « des mendiants ». Qu’il était temps de développer le secteur agricole en Afrique. Il vantait alors son programme agricole qu’il avait dénommé, la Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (Goana). Un projet ambitieux reconnaissait-il dans un discours enflammé au siège de la FAO, en 2009 (ce discours est à revoir sur Youtoube https://www.youtube.com/watch?v=FyPtdvys5-M). A travers ce programme, Monsieur le Président Wade ambitionnait de rendre le Sénégal autosuffisant en riz, oignon….etc. A-t-on fait le bilan de ce vaste programme de huit-cent millions de dollars ?
Il est triste de constater que chaque programme tombe à l’eau aussitôt que son défenseur n’est plus aux commandes du pays. L’une des maladies dont souffre le Sénégal vient sans doute de l’orgueil de ses dirigeants politiques. Mais il faut quand même reconnaître qu’ils ont contribué à la construction de la démocratie sénégalaise à saluer. Une élection présidentielle a lieu à intervalle régulier. Toutes les institutions fonctionnent tant bien que mal. A cette faveur, le pays a connu des alternances au sommet de l’État. C’est une note positive. Seulement ce qui est à déplorer, c’est le manque de continuité. Chaque président arrive au pouvoir avec ses projets, lesquels souvent disparaissent avec la fin de son mandat. Le suivant dirige le pays avec ses propres idées loin d’être originales. Pour le malheur des Sénégalais, ce manque de continuité dans la mise en œuvre des politiques de développement plombe le pays dans un éternel recommencement. « Dans la nature, tout ce qui change cherche à atteindre un état final de stabilité, qui est en soi le but du changement » (François-Xavier Bellamy, Demeure, Paris, Grasset, 2018, p. 42). Il faut plaider la stabilité et la continuité. On ne peut être en perpétuel changement. Quelque chose doit demeurer.
La responsabilité n’est pas que celle des politiques. Car elle est aussi celle des Sénégalais qui sont plus des « habitants » que des « citoyens » pour reprendre les termes de Cheikh Yérim Seck. Ensemble admirons la formule et suivons l’explication qu’il en donne : un habitant est moins soucieux du développement de son milieu. Il est passif. Tandis qu’un citoyen se mobilise. Il prend des initiatives en faveur du développement de son pays. Les Sénégalais sont-ils plus des habitants que des citoyens ? La question mérite d’être posée. Toutefois, ce qui intéresse l’auteur de ces lignes, c’est la solution pour lutter contre la mendicité et plus globalement contre la pauvreté. En dépit du manque de richesse naturelle dont souffre le Sénégal, il faut travailler à réduire le coup de la vie. Citons encore une fois Cheikh Yérim Seck dont nous partageons entièrement l’opinion : « Il y a deux, et deux seules manières de réduire structurellement le coût de la vie. La première, qui dépend de l’État, consiste à initier une agriculture qui puisse produire du riz, de la canne à sucre, du blé, de la tomate, des pommes de terre, des oignons, des fruits… à une quantité suffisante pour couvrir nos besoins. La seconde manière, qui dépend de la population, consiste pour celle-ci à changer ses habitudes alimentaires pour ne consommer que les denrées localement produites »(p. 105). Si seulement les Sénégalais pouvaient se promettre d’observer ces recommandations. Ce contrat social serait bénéfique pour la nation.
Au demeurant, à long terme, il faut encourager une conversion au niveau des habitudes. Il revient au gouvernement de créer les conditions nécessaires pour éduquer, orienter et encourager les populations à changer leurs habitudes alimentaires. Il n’y a pas à se réjouir de distribuer du riz indien à la population. Il urge plutôt de travailler pour valoriser la production locale. Il est urgent également d’encourager la consommation des produits agricoles locaux. La Casamance et d’autres régions en produisent déjà suffisamment. C’est seulement en opérant une telle conversion radicale que la pauvreté sera contenue, voire éradiquée au Sénégal. A court terme et dans l’immédiat, l’État doit réfléchir à la manière dont il va assister le monde rural face à la pénurie alimentaire en cette période hivernale qui continue de s’installer progressivement au sud et au sud-est du pays.
Pierre Boubane