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Des Armes Juridiques Pour DÉfendre Le Littoral

La confusion entre littoral et rivage laisse toujours planer le flou sur la délimitation et la définition de l’espace littoral. Le rivage est un concept juridique ancien que l’on retrouve dans l’Ordonnance française de la Marine de 1681. A cet espace de souveraineté, né de cette ordonnance, correspondait les 50 pas du Roi délimitant une zone vide inconstructible excluant toutes occupations privatives. C’est ce qui ressort de l’article 2 du Titre VII de l’Ordonnance de Colbert qui laisse apparaître en filigrane le domaine public maritime : « Faisons défense à toute personne de bâtir sur les rivages de la mer, d’y planter aucun pieux, ni faire aucuns ouvrages qui puissent porter préjudice à la navigation, à peine de démolition des ouvrages, de confiscation des matériaux et d’amende arbitraire »

Le besoin d’explorer et d’exploiter les ressources de la zone côtière au profit de la collectivité nationale a fait bouger les lignes de défense de cet espace exclusif de toute activité économique. Le littoral, assimilé au rivage, se socialise depuis les années 1963. Mais à quel prix ? Le bétonnage du rivage dans le Sud de la France, les marinas pieds dans l’eau sont autant de blessures qui ont défiguré le visage naturel de la zone côtière. Nous devons apprendre à préserver la vie sur le littoral en tirant les leçons des erreurs du législateur français qui nous inspire.

« Le littoral, écrit Jules Michelet, c’est avant la mer, une mer préalable d’herbes rudes et basses, fougères et bruyères… ».

Cette définition du littoral a évolué de façon notable au gré des changements économiques et sociaux de nos lieux de vie proches de la mer. Mais elle n’a pas la même perception dans le langage du géologue, de l’urbaniste et de l’administrateur du domaine public maritime.

Ainsi, toute tentative de définition du littoral s’adossera inévitablement à une définition fonctionnelle.

Mes maîtres de la Faculté de Droit de l’Université de Bretagne Occidentale-Brest les professeurs Jean-Marie Becet et Didier Le Morvan voient dans le littoral « un territoire vivant en symbiose directe avec la mer côtière, territoire au sein duquel il est possible de distinguer plusieurs secteurs selon la nature des activités exercées ». Le littoral serait alors, pour nous Sénégalais, un emboîtement d’échelles de souveraineté nationale, de gouvernance des communes littorales, de gouvernance locale traditionnelle, des acteurs économiques et des associations de défense de la nature. C’est une communauté d’intérêts divergents qui se construit dans la dynamique du respect des normes environnementales.

De l’Agenda 21, plan d’action pour le XXIe siècle adopté par 182 chefs d’État lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en juin 1992 au Code pétrolier en passant par le Code de la Pêche maritime, le littoral charrie derrière lui des programmes nationaux tels que le Programme d’action  sur la diversité biologique et le Plan de Gestion des déchets dangereux.

Le Code minier du Sénégal et le Code de l’Urbanisme sont conviés à la table des négociations pour sauver ce qui reste de notre littoral.

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De la langue de Barbarie au Cap Skirring, le Sénégal est fier de ses gisements pétroliers omettant d’ouvrir un débat très important sur les conséquences d’une marée noire qui risque de lui priver de devises pour la destination Sénégal portée par l’Agence Sénégalaise de  Promotion Touristique.

Deux gisements du bloc pétrolier de Sangomar Offshore Profond et Sangomar Offshore situés à 90 km du littoral prévoient de sortir entre 100 000 et 120 000 barils par jour pour une réserve de 2,5 milliards de barils.

Quand allons-nous mettre en place des mécanismes appropriés d’harmonisation des divers acteurs pour protéger davantage le littoral ? La gouvernance des pêches maritimes par une approche chaîne de valeur doit passer aussi par la protection du littoral, point d’ancrage local de la pêche artisanale.

En dehors d’une catastrophe écologique éventuelle, il est de l’intérêt du Sénégal de redéfinir les normes et distances de rejets des produits toxiques des navires afin de réduire l’impact écologique sur le littoral. Définir le préjudice écologique en instaurant le principe du pollueur-payeur des navires et installations pétrolières offshore permettrait également à notre pays d’éviter de reproduire les erreurs de gestion de la Baie de Hann dont la dépollution attend toujours.

Cela devrait nous ramener à renforcer les capacités des forces de surveillance de nos côtes. Une mobilisation de moyens suffisants de la Marine Nationale est à ajuster au tracé de nos routes maritimes. A cet effet, plusieurs missions ont été dévolues à nos forces navales : la défense du littoral, la surveillance du territoire maritime, la surveillance des pêches, la lutte contre la pollution par les hydrocarbures et les déchets toxiques…

Dans le même esprit, c’est  la Coordination Régionale du Projet « Initiative de Pêche Côtière-Afrique de l’Ouest » porté par l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) et le Fonds de l’Environnement Mondial (FEM) qui nous recommande ici la mutualisation de nos moyens pour être plus à l’écoute des acteurs littoraux. La Côte d’Ivoire, le Cap-Vert et le Sénégal tentent ainsi de donner des réponses à l’inadaptation de nos législations nationales à la protection du littoral. Et nous devons aussi nous inspirer de leurs recommandations pour viabiliser de façon optimale le champ d’application de la Loi littorale.

Dans l’urgence et le processus de dialogue entre les administrations, les ministères de l’Urbanisme et du Logement et de l’Hygiène publique, des Mines et de la  Géologie et de l’Environnement et du Développement Durable ont été les premiers à se rendre sur place au phare des Mamelles pour constater et déplorer les chantiers d’occupations privatives qui mettent en danger cet ouvrage de la sécurité de la navigation maritime et aérienne datant de 1864. Le ministère tourisme et des Transports Aériens, bien qu’étant acteur de premier plan, rodait, séance tenante, autour de ce patrimoine historique qui est sous la responsabilité du Port Autonome de Dakar.

Le traumatisme du ministère des Mines et de la Géologie dû à l’extraction clandestine des roches volcaniques des entrailles des Mamelles devrait pousser le Sénégal à élargir son champ de réflexion sur le recensement des indices de vulnérabilité du littoral. En effet, recenser les côtes rocheuses, les plages de sable fin, les plages de galets, les estuaires et la mangrove de la Langue de Barbarie au Cap Skirring laisserait au législateur sénégalais le soin de calibrer une nouvelle fois les normes de rejet des navires pollueurs en tenant compte des spécificités de chaque milieu récepteur. Le sable marin exploité clandestinement pour répondre aux besoins du secteur des BTP est une source d’érosion marine. Il suffit d’observer l’effondrement de la haie des filaos de la plage de Malika pour lancer un cri « SOS » à nos pouvoirs publics.

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Le sommet sur le Bassin sédimentaire de la Mauritanie, du Sénégal, de la Gambie, de la Guinée Bissau et de la Guinée Conakry, plus connu sous le nom de MSGBC, qui s’est ouvert à Dakar le mercredi 29 janvier 2020 sous la présidence du président Macky Sall a posé un cadre de coopération nécessitant la mise en commun des moyens pour une meilleure exploitation de nos ressources gazières et pétrolières. Mais le Bassin sédimentaire c’est aussi le tarissement de la nappe phréatique de Diogo à Potou Sur Mer en passant par Lompoul Sur Mer contre l’exploitation du zircon. L’effet boomerang de la ruée vers ce métal précieux entretient l’insécurité alimentaire dans la zone des Niayes, fleuron de la culture maraîchère au Sénégal et sur le littoral jusqu’à Saint-Louis avec le privilège du phénomène d’upwelling remis en cause.

Si choisir c’est renoncer, l’entre-deux reste une zone de turbulences de nature à compromettre l’aptitude de notre pirogue « Sunu gaal » à affronter les périls de la mer.

Notre pays est écartelé entre le miroir de l’espérance de ses revenus du pétrole et la réalité des retombées financières de ses ressources halieutiques.

C’est le problème de la gouvernance alimentaire qui resurgit sur notre littoral toujours dans une approche chaîne de valeur. En effet, les unités de transformation ont toute leur place sur le littoral mais elles sont souvent source de pollution (pollution atmosphérique, entassement des déchets sans possibilité de recyclage…). Décentraliser une unité de transformation des produits de la mer de Mbour à Mballing (5 km de Mbour) par exemple, laisse entier le problème de la pollution sur les quais de pêche de Mbour.

Que serait alors la Loi littorale dans cette juxtaposition de lois et de règlements ?

Légiférer c’est tenir compte de l’Homme et de son milieu.

Et la prise en compte des spécificités du milieu nécessite des mesures d’urgences pour mettre fin à l’occupation anarchique du littoral. S’inspirant de la Loi d’Orientation pour le Développement Durable des Territoires et du Schéma de cohérence territoriale, le président de la République devrait intégrer dans le projet de loi un document unique d’aménagement global et intégré du littoral appelé Schéma de Mise en Valeur de la Mer.

Pour contourner les difficultés procédurales éventuelles, le chef de l’Etat gagnerait à élaborer ce document unique en privilégiant au moins deux approches : une approche technique et une approche politique.

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Une approche technique qui partira de la mer à la terre par une connaissance approfondie du milieu marin à travers des études hydrologique, hydrographique, océanographique et maritime. Car les documents d’urbanisme ont le réflexe de partir toujours des nécessités terrestres pour encadrer juridiquement le milieu marin. Et l’Agence Nationale de l’Aménagement du Territoire doit tenir compte des réalités propres au littoral. La valeur contraignante d’un bon Schéma de Mise en Valeur de la Mer passe également par un engagement sans réserve des acteurs littoraux, fruit d’un travail de coordination et de concertation qui doit être mis en place dès la conception du projet de loi sur le littoral. Ce qui justifie l’approche politique.

Cette approche politique doit s’appuyer sur la construction d’un commun vouloir de vivre-ensemble des acteurs littoraux. Un Comité d’Orientations Stratégiques Littoral (COS Littoral) devrait voir le jour pour aider à promouvoir une forte adhésion aux règles contraignantes qui vont peser sur les acteurs publics et privés en présence. La présence des autorités traditionnelles est aussi importante. Il suffit de longer le littoral de Saint-Louis (Kër Maam Kumba Bang) au pays lébou (de Ngor à Ndayane) et d’aller plus au sud du Sénégal en Casamance dans  l’Aire de Patrimoine Communautaire Kawawana (ancienne Communauté Rurale de Mangagoulack) pour mesurer à sa juste valeur l’intérêt de préserver la biodiversité avec les gardiens des lieux de cultes veillant activement sur nos côtes le long de l’Océan Atlantique.

La vertu de la future Loi littorale résidera dans sa capacité à régler les conflits entre les usagers de la mer côtière dans le respect de la délimitation des communes littorales. Mais les collectivités locales, à l’exception de la ville de Dakar cantonnée dans des opérations d’embellissement, sont dessaisies du pouvoir de s’occuper du Domaine Public Maritime resté sous l’emprise de l’Etat. Pourtant, l’Acte III de la Décentralisation est clair sur le contenu de leurs missions : « les collectivités locales ont pour mission la conception, la programmation et la mise en œuvre des actions de développements économique, social et environnemental ».

En définitive, c’est de la base au sommet des processus décisionnels que se construira la Loi littorale sur des fondations solides au nom des principes de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité du Domaine Public Maritime. Monsieur le président de la République, le sentiment de dépossession des primo-occupants de leurs lieux de mémoire (Lébou, Niominka, Diola) face à la boulimie foncière d’une nouvelle caste de possédants sur le littoral et dans l’hinterland est une alerte rouge. Seule une loi littorale juste et contraignante pourrait remettre de l’ordre sur cet espace tant convoité avec des sanctions civiles et pénales dissuasives. « Sans l’épée, les pactes ne sont que des mots ». Ainsi, parlait Thomas Hobbes. Et l’histoire lui donne raison.

Daouda Ndiaye Jaraaf est Juriste, Diplômé d’Etudes Supérieures Spécialisées de Droit des Activités Maritimes, Université de Bretagne Occidentale-Brest, Docteur en Sciences de l’Education

Secrétaire Général de l’Association des Cadres lébou Le Péey Lébu







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