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Et Si Le Covid-19 Signait La Fin Du Tiers-monde ?

La première décennie du 21e siècle avait démarré avec les attentats du 11 septembre et s’était terminée avec la crise économique et financière des années 2008 et 2009. La deuxième décennie quant à elle avait débuté avec les révolutions dans le monde arabe qui ont abouti à la dislocation de la Lybie et la guerre sans fin en Syrie ainsi qu’un séisme d’une magnitude de 8,9 et un tsunami qui ont provoqué une catastrophe nucléaire au Japon. Autant dire que le passage à cette nouvelle décennie était attendu comme un enfant longtemps désiré. Cependant, ce que le monde a vu naître et grandir à l’aune de ce nouveau tournant est loin d’être un heureux événement.

En effet, dès décembre 2019, la Chine a enregistré ses premiers cas de maladie à coronavirus. En janvier 2020, le virus s’est propagé en Europe, en Amérique. Le 14 février 2020, l’Egypte enregistrait le premier cas positif en Afrique.

A ce jour, le Covid-19 a touché au moins 50 millions de personnes dans le monde entier, faisant plus d’un million de morts. Il a touché plus de 170 pays sur les 194 que compte officiellement le monde.

Le Covid-19 a mis à nu les tares des systèmes de santé des plus grands pays. On a des hôpitaux américains et français débordés. Plus sérieusement, la pandémie a dévoilé les limites des systèmes sanitaires, économiques et sociaux des pays riches.

En effet, en plus d’être une crise sanitaire d’une ampleur inédite, la pandémie du Covid-19 est en passe d’entraîner une crise socio-économique majeure. En effet, le virus, par sa vitesse de propagation, a contraint les Etats à fermer leurs frontières et à limiter les déplacements et rassemblements à l’intérieur des territoires. Les entreprises qui le pouvaient ont dû recourir aux techniques de travail à distance, d’autres, qu’elles soient formelles ou informelles, ont tout simplement arrêté de fonctionner.

Certains travailleurs ont vu leurs revenus baisser du jour au lendemain, tandis que d’autres ont perdu leurs sources de revenus dans la même occasion.

Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que ces situations dichotomiques ne sont pas géographiquement situées. Au sein d’un même pays, on retrouve des entreprises et des personnes qui sont durement frappées par cette crise tandis que d’autres arrivent à résister. En Afrique, beaucoup d’entreprises du secteur informel connaissent des difficultés à cause des différentes mesures restrictives imposées par les gouvernements. Leurs employés qui ne bénéficient d’aucun système de sécurité sociale sont pour laissés-pour-compte. Les Etats ont dû venir en aide aux ménages les plus démunis. D’un autre côté, d’autres salariés travaillant en Afrique ont pu opter pour le télétravail, en conservant leur rémunération. En Europe, beaucoup de sa salariés des entreprises de services ont bénéficié du système de télétravail. D’autres ont été contraints au chômage partiel rémunéré. Toutefois, beaucoup d’entreprises du secteur tertiaire font face à une baisse drastique de leur activité. Les gouvernements ont dû mettre la main à la poche pour aider les plus impactés.

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Par ailleurs, l’hécatombe prédit par l’Oms et certains chercheurs occidentaux n’a pas eu lieu en Afrique. Le continent compte à ce jour le plus faible niveau de contamination. Certains expliquent cette situation par la résistance naturelle développée par les Africains face aux virus de tous genres et par la jeunesse de sa population qui serait moins sensible au virus.

On peut y voir des résultats d’une réponse anticipée des pays africains. N’oublions pas que les mesures de fermeture des frontières ainsi que les restrictions à l’intérieur des pays ont été très précoces en Afrique ! Au Sénégal par exemple, le gouvernement a pris la décision de fermer les frontières aériennes et terrestres deux semaines après l’enregistrement du premier cas dans le pays, alors qu’on comptait moins de cent cas et aucun décès lié au Covid-19.

Les pays africains ont ainsi fait preuve de capacités de gestion remarquables à l’égard de la pandémie. En effet, ils ont montré qu’ils ont tiré les leçons des crises sanitaires. M. Abdou Diop rappelait dans une tribune parue dans Jeune Afrique que la décision prise par le Maroc en 2014 face à la crise Ebola a été certainement «le premier geste barrière de l’histoire sanitaire récente du continent».

Aussi on peut, sans prendre peur de victoire trop tôt, affirmer que le Covid-19 ne marquera pas la fin de l’Afrique. Plus, il devrait même emporter avec lui le sombre voile qui couvrait la plupart des pays communément appelés le Tiers-monde. L’expression «Tiers-monde», à titre de rappel, a été utilisée pour la première fois en 1952 par le démographe et économiste français Alfred Sauvy. Elle sert à désigner les pays sous-développés africains, asiatiques et latino-américains. Il est vrai que ces dernières décennies ce terme a été jugé péjoratif et on lui a préféré d’autres concepts comme pays en voie de développement, pays émergents. Toutefois, tous ces qualificatifs sont peu ou prou des synonymes qui correspondent à la même réalité économique, sociale et politique et qui servent à opposer les pays pauvres du Sud des pays riches du Nord.

Il est également vrai que ce groupe n‘est plus aussi homogène qu’il l’était dans les années 50, tant les pays asiatiques et certains pays du sous-continent américain se sont résolument tournés vers l’émergence. Quoi qu’il en soit, les caractéristiques économiques et sociales jusque-là attachées aux pays du Tiers-monde se sont retrouvées dans certaines zones ou régions des pays les plus avancés du monde. En effet, au plan strictement sanitaire, les pays européens ont montré leurs limites dans le cadre de la gestion de cette pandémie. En France, certains ont même pu interpréter ce discours du gouvernement sur le port du masque comme une «masquerade» pour camoufler l’insuffisance des stocks de masques dans le pays dans un premier temps. Dans le même temps, le Maroc assurait son autosuffisance en masques et commençait à exporter ses produits vers les pays plus développés comme la France et les Usa. Au plan social, le Covid-19 a disloqué certes le secteur informel des pays africains, laissant des millions de personnes sans ressources du jour au lendemain. Mais pendant ce temps aux Usa, il a fait bondir le taux de chômage de son plus bas niveau depuis 2008 à un taux record de 24%. Du jour au lendemain, plus de 20 millions d’Américains ont été contraints de demander des aides sociales à l’Etat. Selon les dernières estimations, le Covid-19 aurait poussé au chômage pas moins de 30 millions de personnes aux Usa. Le Covid-19 a également exacerbé les inégalités sociales dans les pays riches. En effet aux Usa, l’on a fait remarquer que le virus faisait plus de victimes au sein des minorités noires et hispaniques, car leurs populations ont un moindre accès aux soins du fait de leur cherté. En effet, selon le site covidtracking.com, sur 100 mille cas de Covid-19 aux Usa, il y a 100 décès de personnes noires contre 50 chez les Blancs.

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En France, des observateurs ont relevé que les populations des banlieues étaient plus exposées, car elles occupaient des emplois précaires et non éligibles au télétravail.

Le défi : l’après Covid-19

Aujourd’hui, il est clair que le Covid-19 ne signera pas la fin l‘humanité. Toutefois, il marquera un

tournant décisif qu’il vaudrait mieux ne pas rater, surtout pour les pays africains. En effet, des leçons doivent être de l‘année qui vient de s’écouler.

Sur le plan politique, le premier réajustement à faire par les pays africains est de décomplexer les attitudes et mentalités quant à nos capacités à faire face à des situations d’ampleur mondiale. Quelque rôle qu’aient pu jouer les conditions climatiques et la jeunesse de la population dans la maîtrise de la crise, il ne faut pas que les Etats minimisent l’impact de la précocité des mesures prises. Sur le plan économique, le Covid-19 a également montré la fragilité des économies des pays riches. Aussi, les pays pauvres auront tout intérêt à faire appel à leurs ressources propres tant le redémarrage des économies occidentales laissera très peu de marges à des aides extérieures. Sur ce point, le Covid-19 devrait être l’occasion de repenser profondément nos modèles de production de richesses, de l’agriculture aux services, en passant par l’industrie.

Au plan social, la pandémie a fini de démontrer l’importance d’une politique sociale institutionnelle. Au Sénégal, la première réponse du gouvernement après les mesures de restriction a été la distribution de produits alimentaires aux populations le plus démunies. Au-delà d’avoir démontré leur inefficacité à combattre une quelconque crise, ces solutions d’un autre temps ne sauraient se substituer à un système de sécurité sociale nationale. Quelles que soient les difficultés pratiques auxquelles une telle entreprise pourrait être confrontée dans nos environnements, ce serait un rendez-vous raté que de ne pas y consacrer une réflexion sérieuse.

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Au plan scientifique et sanitaire, les pays africains ont adopté des protocoles sanitaires très précis et qui ont démontré leur efficacité tandis que les pays européens ont perdu des semaines à tergiverser sur une solution médicale. Toutefois, cela ne devrait pas occulter le retard de nos pays dans la recherche scientifique. En effet, le Covid-19 sera un grand moment de diplomatie scientifique.

A l’heure de la course pour un vaccin anti Covid-19, les mêmes pays riches occupent la scène internationale. Aussi, l’Afrique ne devrait pas rester simple spectatrice et future consommatrice de seconde zone du vaccin contre le Covid-19. Quelle que soit la contribution qu’ils pourront apporter, les experts africains devraient prendre une part active à ce débat, appuyés en cela par les dirigeants à l’échelle continentale.

Il ne faudrait pas s’y tromper, l’après Covid-19 sera toujours un monde de compétition entre pays et entre peuples. Il y a fort à parier que l’Etat ou le groupe d’Etats qui parviendra à trouver une solution scientifique à cette maladie aura un positionnement de choix dans les années à venir. En définitive, les conséquences de la crise du Covid-19 ne seront pas très différentes de celles des autres crises, à cela près que les autres n’étaient pas sanitaires.

Aussi, les réponses à apporter ne seront pas forcément différentes, sauf pour l’Afrique et les pays pauvres de façon générale. Pour eux, le Covid-19 est une chance de se repenser et de se réinventer. Ils ont eu la chance d’être moins durement touchés au plan humain. Leurs économies ont été paralysées moins longtemps dans une certaine mesure. Autant de facteurs qui devraient leur permettre de reprendre leur course à l’émergence avec une longueur d’avance sur l’Amérique et l’Europe, qui sont encore en train de se démener avec une recrudescence des cas.

En tout état de cause, le Covid-19 aura changé les regards croisés qu’Africains et Occidentaux portaient jusque-là les uns sur les autres. Le but étant de renforcer, du côté africain, tout ce qui a bien fonctionné pendant cette crise et de commencer à œuvrer sérieusement à un meilleur avenir pour tous avec pour mot d’ordre l’autosuffisance alimentaire, l’accélération de l’industrialisation et la mobilisation des ressources financières internes.

Adama SY

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