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Bassin Du Lac Tchad, La Capture Du Dividende DÉmographique

La disparition inattendue du Marechal Idriss Deby Itno révèle tout l’intérêt de l’équilibre géopolitique entre grandes puissances et interroge sur les menaces qui pèsent quant à l’exploitation future des ressources naturelles dont regorge le Sahel central autour du G5 Sahel et du bassin du lac Tchad. La puissance militaire du Tchad va-t-elle survivre à l’après Marechal ? Quelles seront les nouvelles stratégies des grandes puissances ? 

« Malgré le fort potentiel économique qu’il présente du fait de l’existence et de l’exploitation des ressources minières abondantes (pétrole au Cameroun, au Nigeria, et au Tchad, Uranium au Niger), le bassin du lac Tchad est confronté à de nombreux défis, écologiques, socioéconomiques et sécuritaires » – Mabingue Ngom, Directeur du bureau régional de l’Afrique de l’ouest et du Centre de l’UNFPA.

Le Sahel est un espace géographique qui compte 11 pays allant de l’atlantique à la mer rouge avec une population de 427 millions d’habitants, comprenant 4 pays du bassin du lac Tchad. Le bassin du Lac Tchad est le lien entre l’Afrique de l’ouest, l’Afrique centrale et l’Afrique du nord. La Commission du Bassin du Lac Tchad a été créée en 1964 comme un espace de gouvernance commun entre les pays transfrontaliers du bassin. Au détour de la chute violente de Kadhafi le 20 Octobre 2011, et en prise avec les disparités de la gouvernance, le bassin est devenu un espace de tous les déséquilibres, écologique, économique, politique et social dont l’insécurité constitue la charpente. Tout s’y joue pour l’avenir de l’écosystème et des populations qui vivaient depuis longtemps en harmonie et en parfaite cohésion sociale.

Depuis plus de 12 ans, le bassin du lac Tchad connaît des convulsions à la mesure des enjeux géopolitiques et du contrôle des ressources hydrogéologiques dans un continent qui compte 9 grands bassins à savoir ceux du Congo – Zaire, du Nil, du lac Tchad, du Niger, du Zambèze, d’Orange Senqu, du Sénégal, de Limpopo et de Volta, représentant une superficie totale de 15 083 977Km2. Le bassin du lac Tchad est un bastion de la civilisation de l’eau (langues, cultures, pratiques rituelles), mais aussi civilisation de forte concentration démographique qui partage en commun une histoire jalonnée par des soubresauts multiformes. Les populations sont toujours installées là où elles arrivent à accéder à cette précieuse source de vie (rivière, lacs, puits ou bord de mer). Cette présence autour des cours d’eau est un marqueur pour une chaîne de valeur autour des activités communautaires liées à l’agriculture, l’élevage, le maraichage, la pêche et le commerce. Le transport fluvial des marchandises, des biens et des personnes structure à la fois la cohésion socio économique et culturelle et suscite la convoitise pour le contrôle des ressources. 80 à 90% de la subsistance des populations du bassin du lac Tchad dépendent de l’agriculture, de l’élevage, largement tributaire de la dynamique du triptyque démographie, paix, sécurité et du développement endogène autour du bassin du lac Tchad.

Le bassin du lac Tchad est un bassin de civilisation autour de la culture, les langues, et les normes socioculturelles communes. Il est important de signaler que l’histoire de l’islam autour du bassin du lac remonte au 19e siècle avec l’instauration du Califat de Sokoto et Bornou par Usman Dan Fodjo de 1804 à 1810, de son frère Abdalahi Dan Fodio et de son fils Usman Mohamed Belo et que la plupart des 12 états du nord Est du Nigeria ont appliqué la Charia et dispose de deux formes de justice sur la loi fédérale commune et le tribunal islamique. Ainsi est campé le décor que les groupes armés non étatiques ont exploité pour essayer d’établir des califats en s’’appuyant sur cette histoire par rapport à des populations affectées par la fragilité des institutions locales.

Vaste crise sécuritaire

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La situation sécuritaire qui prévaut autour du bassin du lac Tchad à l’instar de la crise du Sahel constitue une préoccupation centrale au regard des dynamiques sociodémographiques, politiques, culturelles et économiques complexes. Il est important d’analyser les contours profonds de cette crise à partir des facteurs liés à la gouvernance, à la crise environnementale comme conséquence du changement climatique, et à l’héritage historique. Avec 30 millions d’habitants vivant autour du bassin du lac Tchad qui couvre 8% de la superficie du continent africain, soit 967.000km2, ce bassin conventionnel de 427,300 Km2 s’affirme comme un enjeu   économique, social et politique majeur dans l’histoire des civilisations autour des cours d’eau en Afrique. L’accès aux ressources naturelles fait l’objet de toutes les convoitises entre plusieurs acteurs (sociaux, politiques, économiques, et non gouvernementaux) et le bassin du lac Tchad en est un exemple typique à l’instar de tous les cours d’eau en Afrique qui justifie une forte concentration de population et son corolaire, une forte pression sur les ressources autour de l’agriculture, du maraichage, de la pêche, du pâturage et du mouvement des populations. L’ampleur de la crise humanitaire autour du bassin du lac Tchad se mesure à travers son vaste chantier avec des besoins importants pour sauver des vies selon l’approche classique de la réponse humanitaire fournie par la communauté internationale.

L’insécurité grandissante autour du bassin avec le grand banditisme et la criminalité organisée a permis à la commission d’élargir son mandat par la mise en place des Forces Multinationales Mixtes le 21 Mars 1994. Ces deux fléaux ont précédé les violences des groupes armés non étatiques autour du bassin du lac Tchad qui remontent à partir de 2002. Je dois souligner que la lutte contre le grand banditisme et la criminalité autour du bassin du lac Tchad est antérieure à la lutte contre les groupes armés non étatiques dont leur présence à partir de 2009, a contribué à la mise en place de la Force Multinationale Mixte avec une puissance militaire de 10 000 hommes répartis dans 4 Quartiers Généraux : Mora au Cameroun, Baga sola au Tchad, Diffa au Niger, et Baga au Nigeria. Le rôle de cette force mixte est de contribuer à la restauration d’un environnement sûr et sécurisé sur le bassin du lac Tchad. À cela il faut ajouter les groupes d’autodéfense, forces civiles communautaire appelés comités de vigilances soutenus par les États du Cameroun, du Nigeria (26 000 membres dans le seul État du Borno selon les groupes d’autodéfense) et du Tchad pour collaborer avec les forces armées nationales dans la surveillance comme des auxiliaires militaires et des forces combattantes.

Une crise multifactorielle

Les pays du bassin du lac Tchad connaissent des crises multifactorielles avec la fragilité constante de certains États, le poids démographique des jeunes de moins de 30 ans, le changement climatique, les rébellions réussies notamment la crise du Darfour et l’ouverture du corridor libyen facilitant la montée des groupes armés non étatiques.

La fragilité des États du bassin du lac Tchad est vécue au quotidien comme étant la faible capacité des pouvoirs publics à assurer la sécurité, et la cohésion sociale. De plus, la distorsion des structures sociales et les conditions liées au changement climatique entretiennent l’instabilité chronique et ouvrent une brèche exploitée par les groupes armés non étatiques. Nous assistons à la récurrence de la répartition asymétrique des ressources au sein du territoire du bassin du lac Tchad. Il faut ajouter à cela que la sècheresse des années 1970-1980 a poussé les populations à se concentrer démographiquement dans les zones plus humides source de tension entre les éleveurs et les agriculteurs.

Selon une publication de l’UNFPA sur les dynamiques démographiques et la crise autour du bassin du lac Tchad, le niveau de pauvreté autour du bassin du lac Tchad est de 49,1%, avec moins de $1.90 par jour avec une différenciation selon les pays (Nigeria plus de 53,5% – Niger 46% – Tchad 38% – Cameroun 24%).

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Parallèlement, il y a un faible investissement dans les infrastructures de base et un faible accès aux services sociaux élémentaires. Les indicateurs sociaux de base sont les plus préoccupants avant et durant la crise, notamment les taux de mortalité maternelle. Les pays du bassin du lac Tchad se singularisent dans le vaste Sahel (Cameroun 529, Nigeria 917, Tchad 1140, Niger 509 pour 100 000 naissances vivantes) selon une étude conjointe de la banque mondiale et du PNUD en 2020 sur les performances socio économiques.

Des établissements scolaires cibles privilégiée des groupes armes non étatiques pour les kidnappings ont été détruits au Nigeria (910 selon Human Right Watch entre 2009 et 2015) et fermés (1500 établissements et 600 enseignants tués durant la même période). De même 57% des installations sanitaires détruites dans les États de l’Adamawa et Yobe en 2010. Par ailleurs, toute cette situation de tension se déroule dans un contexte ou les populations manquent de tout avec un faible accès à l’eau, à l’électricité, aux services de qualité dans le domaine de la santé et de l’éducation.  Mariage précoce des filles (67% des femmes âgées de 20 à 49 ans se sont mariées avant l’âge de 18 ans selon National Bureau of statistic /UNICF en 2018 au Nord Est du Nigeria), faible taux de scolarisation et déscolarisation, chômage et sous-emploi des jeunes autour du bassin du lac Tchad constituent autant de facteurs de vulnérabilité des populations par rapport au groupes armés non étatiques

Panorama de la crise humanitaire

Les groupes armés non étatiques (Boko Haram et MUJAO et Ansaru) imposent le plus grand défi humanitaire dans le bassin du Lac Tchad. Le conflit a principalement touché les États de Borno, Yobe et Adamawa et s’est étendu avec les incursions à l’extrême nord du Cameroun, dans la ville de Diffa au Niger, Hajer Lamis et la province du Lac au Tchad, ce qui a gravement affecté la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes forcées au déplacement pour des raisons sécuritaires. Les autres États voisins du Nord Est touchés par le conflit comprennent Gombe, Bauchi, Taraba, Plateau, Kano et Jigawa.

Les États touchés par le conflit comptent environ 30 millions de personnes dont environ 25,3 millions nécessitaient une aide humanitaire en 2021 (aperçu des besoins humanitaires consolidés 2021). De plus, les pays du bassin du lac Tchad ont enregistré 5,115 Millions de populations déplacées internes, réfugiées, et retournées selon le données mises à jour par l’Organisation des Migrations Internationales (27-28 Janvier 2021) dont 76% au Nigeria (3 880 984), 11% au Cameroun (560 884), 8% au Tchad (409 610) et 5% au Niger (263,593). Nous assistons à un mouvement pendulaire de retour et de déplacement notamment avec les opérations de rapatriement vers le Nigeria avec la volonté affirmée du Gouverneur de l’état du Borno, le Professeur Zulum, et un déplacement conjoncturel des réfugiés Nigérians vers les autres pays en fonction de la crise sécuritaire ponctuelle (OIM 9000 Réfugiés Nigérians de Damasack au Niger le 22 Avril 2021).

Des solutions holistiques et endogènes

Avec tous les moyens militaires, humains et financiers mobilisés la crise perdure autour du bassin du lac Tchad avec une possibilité de jonction des groupes armés non étatiques avec le sahel central, la solution ne sera jamais militaire et devrait se focaliser sur des investissements massifs pour l’accès aux services sociaux de base, une vitalisation de l’économie et une culture de la paix pour restaurer la fabrique sociale autour du lac Tchad.

Ainsi, beaucoup d’initiatives et de stratégies sont développées au niveau national à travers des programmes de relèvement notamment au Nigeria avec le plan Buhari pour le Nord Est (7,5 milliards de $), au niveau sous régional (Banque Mondiale, BAD), au niveau de l’Union Africaine et des Partenaires Techniques et Financiers qui convergent vers la stabilisation. L’Union Africaine a développé une stratégie régionale de stabilisation, de redressement et de résilience des zones affectées par la crise de Boko Haram pour un montant de 12 milliards $ ) en août 2018 dont les piliers majeurs portent sur la coopération politique, la sécurité et les droits de l’homme, la gouvernance et le contrat social, le relèvement socio économique et la durabilité environnementale, l’éducation, l’apprentissage et les compétences, la prévention de l’extrémisme violent et la consolidation de la paix et l’autonomisation et l’inclusion des femmes et des jeunes.

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Le Bureau Régional de l’Afrique de l’ouest et du centre s’appuyant sur son expérience dans l’analyse stratégique des dynamiques démographiques autour du Sahel central et du bassin du lac Tchad considère que la centralité de la démographie est essentielle dans le développement socioéconomique, la construction de la paix et de la sécurité surtout dans les pays affectés par les crises humanitaires complexes. Ainsi, la stratégie de la plateforme de coordination du bassin du lac  Tchad  initiée en 2019 s’appuie sur 4 piliers essentiels, à savoir  les jeunes et les adolescents, la mobilisation des leaders traditionnels et religieux,  l’autonomisation de la femme et des filles, et la gestion des connaissances en s’appuyant sur le caractère transfrontalier de la réponse et les avantages comparatifs de chaque pays, (Niger : chefs traditionnels et religieux ; Tchad : les femmes et les filles ; Cameroun : les jeunes et adolescents, la gestion des connaissances ). Les solutions militaires ne peuvent en aucun cas prospérer dans les pays qui disposent de ressources naturelles énormes sans s’attaquer aux causes multifactorielles sous jacentes autour du bassin du Lac Tchad. C’est là tout l’enjeu d’une réponse holistique, concertée et transversale de la crise autour du bassin du lac Tchad pour la capture du dividende démographique selon M. Mabingué Ngom, Directeur régional du bureau de l’Afrique de l’ouest et du Centre. 

Cette situation autour du bassin du lac Tchad interpelle les décideurs et les Commission Économiques régionale et l’Union Africaine sur la nécessité de déconstruire l’hypercentralisation de l’économie, des institutions et des services sociaux de base au détriment des zones périphériques qui font le lit des groupes armés non étatiques qui sont légion presque partout en Afrique au profit de l’industrie de l’armement.

apouye@seneplus.com

Références bibliographiques

  1. Etude régionale de recherche du bassin du Lac Tchad : soutenir la cohésion sociale par l’appui aux mécanismes endogenes de prévention et résolution des conflits ; Nasser Abdoul (expert Nigéria et Cameroun, juriste) Hadiza Kiari Fougou (experte Niger, géographe) Henri Mahamat Mbarkoutou (expert Tchad et Cameroun, politologue) Florence Chatot (experte socio-anthropologue) Sous la direction de Johanna Baché, Octobre 2020.

2.    Paul E. Lovejoy, Les empires djihadistes de l’Ouest africain aux xviiie-xixe siècles, Cahier d’histoire, open edition Journals, 2015

3.    Alain Vicky, Aux origines de la secte Boko Haram, Monde diplomatique Avril 2012

4.    Christian Seignebos, Boko Haram innovations guerrieres depuis les monts Mandara, Afrique Contemporaine, N°252, 2014

5.    Langues et cultures dans le bassin du Lac Tchad, Journées dëtudes

les 4 et 5 septembre 1984, ORSTOM (Paris) ;

6.         6. les grands barrages africains prise en compte des populations locales, Véronique Lassaly-Jacob, l’espace géographique, 1983 ; P46-58

7.     Gerard Magrin et Christine Raimond, La région du lac Tchad face à la crise Boko Haram : interdépendances et vulnérabilités d’une charnière sahélienne, in Bulletin des géographes français, P 203-221

8.    Dynamiques démographiques et crise autour du bassin du Lac Tchad, UNFPA WCARO, 2018

9.    Démographie, paix et sécurité au sahel : Regards croisés autour du sahel central résilient, 2020

10. Ada Pouye Prévention des conflits et développement durable in Développement durable et création des richesses en Afrique UNESCO







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