Senexalaat - Opinions, Idées et Débats des Sénégalais
Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Il Ne S’est Donc Rien PassÉ Ce 17 Juin

Il Ne S’est Donc Rien PassÉ Ce 17 Juin

Le président Macky Sall était donc « droit dans ses bottes » (quelles bottes au fait ?) ce vendredi et recevait comme un jour ordinaire des jeunes libéraux et des militants de l’intérieur du pays, selon le quotidien l’As du samedi. Et, devant ses sauvageons et des dissidents des locales, bien engoncé dans ses bottes, le locataire du Palais a répété ce qui est devenu depuis mars 2021 son mantra : « ce qui s’est passé en mars ne se reproduira pas ». Et d’ajouter : « nous sommes un État de droit et on ne laissera pas un petit groupe basculer le pays ».

Un autre quotidien qui lui aussi semble s’être glissé comme une souris dans les babouches de Macky et de Mahmoud Saley, L’Obs, tente de nous décrire « comment Macky Sall a passé sa journée au Palais ». Selon ce quotidien, pendant que certains s’inquiétaient de ce qu’il allait advenir de cette journée de vendredi, « au Palais nous dit-il, il n’y avait aucun souci à se faire (sic!), sachant à l’avance que l’appel des leaders de l’opposition ne serait pas totalement entendu », l’hôte du Palais a déroulé son programme prévu, avec son « Jean Collin », et directeur de cabinet politique a reçu ses responsables de Dagana…

Seulement, malgré la volonté de l’informateur du journal de  « banaliser » cette journée et d’asseoir la fable que notre président était aussi serein qu’un lion qui dort et qu’on a réveillé (affable et paresseux), l’informateur donc, a eu la langue qui a fourché en confiant quand même que le président suivait les évènements vers 16h avec les « premiers affrontements sur la VDN et à Colobane ». Pire, « des témoins rapportent que, plongé sur son smartphone, il répondait aux messages… »

Tout ceci ressemble furieusement à un déni de vérité et à l’écriture laborieuse des évènements du 17 juin. En effet, il était question pour une « certaine presse » de minimiser ce qui s’est passé ce vendredi, magnifier les « forces de sécurité qui dictent leur loi » (L’As) ; la « Face cassée » (sic!) de la manif de Yewwu, essaie douteusement d’ironiser l’Obs, et le « Yaw Dégaz » (c’était dans les fours crématoires nazis qu’on gazait juifs et autres mauvais pensants) du Quotidien, qui assène par ailleurs qu’il y a des « interrogations autour de deux morts »…

A LIRE  SONKO-DIOMAYE, LA STRATÉGIE DU CHAOS

Il faut quand même avoir des oeillères et être aveugle intellectuellement, pour ne pas voir , à défaut de l’expliquer honnêtement, que la « neutralisation » jouissivement décrite par certains quotidiens, avait quand même des explications : Dakar quadrillée dès jeudi soir par des milliers de policiers appuyés par des gendarmes, des leaders politiques séquestrés chez eux (Sonko, Barthélémy Dias), d’autres (les députés Déthié Fall et Mame Diarra Fall) « enlevés » en pleine rue (l’un devant son siège et l’autre devant le domicile de M. Dias, et un maire (Ahmed Aïdara) et ses proches interpellés dans la rue… Et malgré cela, voire à cause de cela, plusieurs quartiers de Dakar ont connu des affrontements violents jusqu’aux environs de 20h30, avec un mort dont on essaie d’imputer la responsabilité aux auteurs de la manifestation.

Plus grave : deux jeunes sont morts par balles à Ziguinchor où était appelée la manif et à Bignona, où il n’y avait aucune manifestation. Le jeune est mort par balles au ventre devant le siège du Pastef.. À part ces bricoles, il ne s’est rien passé ce vendredi-là, et que les forces de défense et de sécurité ont « neutralisé » les velléités « insurrectionnelles » de Yewwi, que ce fut une journée ordinaire pour le président en son Palais, palabrant avec de « jeunes libéraux africains » et faisant la leçon aux militants qui avaient eu un comportement vraiment rebelle lors des locales. Il ne s’est donc rien passé ce vendredi-là au Sénégal !

Et si nous étions dans une République normale, dans une démocratie normale, où les hautes autorités respectent (et donc peuvent faire respecter) les lois, règlements et surtout la Constitution, si nous étions donc dans un tel pays paradisiaque, réclamer d’user et d’utiliser les droits qui sont consentis ne serait pas un crime et surtout, n’occasionnerait mort d’hommes par des corps armés et payés par les impôts de tous les citoyens.

A LIRE  Que reproche-t-on vraiment au capitaine Dièye ?

Si nous étions dans une telle paradisiaque République, monsieur le préfet de Dakar devrait dire aux citoyens, combien de flics et de gendarmes il a déployé à Dakar ? Pourquoi se sont-ils échinés à empêcher les manifestants dans la capitale ? C’est ce qu’on fait dans les pays normaux, avec des institutions normales. Le Préfet de Paris en sait quelque chose, lui qui à chaque manif dans la capitale française dit combien d’hommes ont été engagés, etc. Il arrive même qu’il doive répondre aux questions de sénateurs (comme après le désastre de la finale de la Ligue des champions) ou à des commissions parlementaires pour répondre sur des bavures policières. Chez nous, on n’a plus de sénateurs, mais on n’a pas non plus de vrais députés. Qui a tué les quatorze jeunes de mars 2021 ? Le saura-t-on pour les trois morts de vendredi 17 juin où semble-t-il, il ne s’est rien passé et où « force est restée à la loi » ?

Il ne s’est donc rien passé ce vendredi où on a « séquestré » députés et maires, dont celui de la capitale, où on a interpellé un autre maire de la banlieue comme un malpropre, et une parlementaire qui allait au domicile du maire de Dakar. Non, il ne s’est rien passé ce vendredi-là… Le nouveau modèle démocratique sénégalais est arrivé : on séquestre députés, maires et leaders politiques ; on installe un état de siège dans la capitale… Oui « l’exception sénégalaise » est devenue toxique, un contre-exemple démocratique. Et quand son chef suprême (qui est conjoncturellement celui de l’Union africaine), s’oppose au vote de la limitation des mandats, quand il refuse d’appliquer les décisions de la Cedeao sur le parrainage, pourquoi veut-il nous pomper l’air avec la guerre Russie-Ukraine ? Au lieu d’aller quémander la « libération » du blé ukrainien, qu’il se batte dans la Cedeao et l’UA pour que l’Afrique s’affranchisse du blé des Européens. Au lieu d’être en première ligne (quel panafricain) des sanctions contre le peuple malien qui a fait ses choix et accepte ses dirigeants et la nature actuelle de son régime, que ne se met-il pas en première ligne l’autosuffisance alimentaire de l’Afrique, l’indépendance en matière de médicaments (le Covid a mis à nu nos échecs), la mise en commun des ressources africaines au lieu de perpétuer les pillages et autres hold-up.

A LIRE  SPECTACLES DE PERPÉTUELLE DESTRUCTION

Oh que si, il s’est passé quelque chose ce vendredi 17 juin au Sénégal ! La démocratie s’est encore abîmée davantage, la Constitution a encore été foulée aux pieds par ceux-là même qui sont en charge (provisoirement) de la « respecter et faire respecter ». Des droits ont été niés et piétinés. Surtout, de jeunes hommes (à la fleur de l’âge) ont été tués, et on ne saura pas par qui (même si on le subodore)… Et tout cela parce que ceux chargés d’administrer en toute neutralité (DGE, CENA, CNRA) ont fauté grave en choisissant les prébendes d’un régime éphémère à la permanence du service public ; parce que surtout, le contrôleur suprême de nos institutions a perdu son droit et nous a sorti des listes électorales handicapées. Parce que ce régime vit ses derniers jours et engage une guerre qui ne peut être que mortelle contre les citoyens qui résistent… Parce qu’on diffère l’avènement enfin du bon sens : le report des législatives jusqu’à la fin de l’hivernage afin de reprendre tout à zéro. C’est (je le répète depuis deux éditoriaux, le troisième avec celui-ci). .. Parce que nous le savons maintenant : nous ne sommes ni plus beaux ni plus intelligents (encore moins) que le reste des bipèdes civilisés. On pourrait même postuler au statut très valorisant de « grandeur et décadence » d’une démocratie prétentieuse.

Et n’en déplaise aux faux-culs de tous bords : il s’est bien passé quelque chose ce vendredi 17 juin. Si on respecte leurs droits, 50 000 citoyens peuvent se rassembler, hurler leur mécontentement, et rentrer chez eux sans un pneu brûlé. Mais quand on leur refuse ce minimum vital démocratique, quelques centaines de citoyens révoltés peuvent foutre le bordel dans une capitale. Est-ce si compliqué à comprendre ?

dndiaye@seneplus.com







Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *