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L’exercice RatÉ De Politique ComparÉe Du Professeur Makhtar Diouf

L’exercice RatÉ De Politique ComparÉe Du Professeur Makhtar Diouf

Dans une longue tribune d’analyse de la démocratie sénégalaise, ponctuée de commentaires libres sur lesquels nous reviendrons plus loin, le professeur d’économie Makhtar Diouf insiste opportunément dans sa conclusion sur un fait bien avéré le concernant personnellement en ces termes : « L’auteur de ces lignes, écrit-il, n’a jamais été d’aucun parti politique. » Il y a mieux encore puisqu’en mai 2018, alors que nous préparions avec les membres d’un comité restreint le lancement du premier tome d’une série de quatre tomes axés sur les discours institutionnel, économique, social et écologique du président Macky Sall, le professeur Diouf accusa réception par mail de l’exemplaire du tome 1 qui lui a été envoyé et refusa courtoisement et sans équivoque d’assister à la présentation du livre d’un peu moins de 300 pages pour, expliquait-il, « rester fidèle à sa décision de se tenir loin des partis politiques au pouvoir ou dans l’opposition ».

Très peu surpris, nous interprétions le contenu du courriel de notre très respectable correspondant par le primat, dans l’esprit du Professeur, de la vérité scientifique sur ce qui apparaissait peut-être à ses yeux comme une invitation de trop. Un peu plus de 4 ans après, l’article de politique comparée, publié dans les colonnes de Sud Quotidien, daté du vendredi 15 juillet 2022, nous donne enfin l’occasion inattendue de nous adresser au grand auteur et aux lecteurs qu’il instruit à travers sa très sévère critique de la démocratie sénégalaise.

De la source principale de l’auteur et de sa méthode

Le Professeur Makhtar Diouf n’a pas fait qu’analyser la démocratie sénégalaise ; il l’a surtout comparée à celle de pays d’Afrique de l’Ouest (Nigéria, Ghana, Cap Vert et Bénin) pour l’essentiel. Sa tribune est donc un texte de politique comparée – mise en relation de pratiques politiques permettant d’établir des ressemblances et des différences entre pays – dont aucun universitaire sérieux ne peut se satisfaire des commentaires libres dérogatoires de la rigueur dans l’exploitation des sources et dans la méthode.

Préférant citer directement The Economist Intelligence Unit (EIU) – on comprendra plus loin l’importance du détail qui n’en est pas un – le professeur d’économie passe sous silence sa source véritable qui est le site du Cercle franco-ivoirien de coopération économique (Cfice) qui ne se contenta, comme M. Diouf du reste, que d’un jugement global, escamotant du coup les nuances qui font le charme de la politique comparée.

Globalement, selon le « Rapport 2021 de ‘’Economist Intelligence Unit’’ (…) sur la Démocratie dans le monde, écrit Makhtar Diouf, le Sénégal fait partie du groupe Démocratie hybride – traces de démocratie et de dictature -, au 12ème rang en Afrique sur 50 pays, et au 88ème rang mondial sur 164 pays. » Faute de mieux pour nuancer son propos, l’auteur de l’article, passé ici au peigne fin, se contente du ticket d’entrée du CFICE pour commenter l’actualité politique au Sénégal comme n’importe lequel des commentateurs à la petite semaine sur les plateaux de télévision. Pourtant, le professeur Diouf a bien vu que « l’Indice de la démocratie de l’EIU (…) est fondé sur 60 critères regroupés en cinq catégories : le processus électoral et le pluralisme, les libertés civiles, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique, et la culture politique. » Dans l’esprit de l’inquisiteur Diouf, 60 critères, ça fait beaucoup. Mais 12 fois moins de catégories réduit d’autant l’effort d’investigation du célèbre professeur d’économie trop pressé pour bien faire dans une matière qui pose un très sérieux problème de méthode en science politique.

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Analyser, ce n’est pas commenter

Parce que le commentaire est libre, il est fort possible que dix personnes commentent différemment un fait de politique intérieure ou internationale. Makhtar Diouf n’échappe pas à l’entorse à la vérité scientifique à force de commenter. Quid de l’analyse ? Les spécialistes sont formels : « l’analyse a le même statut que les faits ». Aussi use-t-elle d’outils d’examen des faits là où le commentaire donne libre cours au bavardage qui encanaille les jeunes générations. Quels outils d’analyse l’EIU met à la disposition de M. Diouf ? Cinq au moins renvoyant aux catégories précisées par le CFICE. Il s’agit tour à tour du « processus électoral », des « libertés civiles », de l’« efficacité et la responsabilité gouvernementale », de la « participation politique » et de la « culture démocratique ».

Pour un article de la taille de celui publié par le professeur Makhtar Diouf, nous nous contentons ici, pour une catégorie donnée, de comparer le Sénégal avec le pays apparaissant dans l’ordre choisi par l’auteur dans son texte (Nigéria, Ghana, Cap-Vert, et Bénin). Cela fait un total de quatre pays africains pour cinq indicateurs. S’agissant du cinquième des indicateurs – la culture démocratique – le Sénégal est comparé à la France (voir Figure 1 avec ses cinq graphiques). J Figure 1 : Niveaux de respect d’indicateurs pertinents dans 5 pays De haut en bas, les graphiques de la figure 1 rendent compte respectivement des niveaux de respect des règles démocratiques (équité, sécurité des électeurs, pluralité, etc.), des libertés civiles (libertés d’association, d’expression et de presse), d’efficacité et de responsabilité gouvernementale, correspondant à la mise en place effective des programmes gouvernementaux, de participation politique (participation aux élections, société civile, partis politiques, syndicats, etc.) et de respect de la pluralité dans un contexte favorable au débat politique. Le classement est de 1 à 10, 10 étant le plus haut niveau. Inutile de préciser que le Sénégal n’est pas le mauvais élève que le Professeur Diouf veut punir dans des commentaires tendancieux. Il suffit pour en avoir le cœur net de comparer les niveaux d’efficacité et de responsabilité gouvernementale des gouvernements du Sénégal et du Nigeria porté en triomphe par M. Diouf dans son commentaire long et imprécis de deux pages de journal (voir Figure 2). Figure 2 : Efficacité et responsabilité au Sénégal et au Nigéria Inutile également de dire que c’est dans la capacité d’un gouvernement de mettre en œuvre ses programmes qu’il faut situer les « réalisations » sur lesquelles l’économiste se refuse à se prononcer sérieusement. Mais elles sont bien là comme jamais auparavant ! Nous pouvons continuer ainsi pour montrer qu’il y a au Sénégal des voix autorisées comme celle de Makhtar Diouf qui instruisent toujours à charge les dossiers de leur propre pays sans se donner la peine de mieux le connaître. Ces voix-là sont dangereuses pour le pays dont ils disent défendre les intérêts.

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Penser plus pour gloser moins

Plutôt que de gloser sur les manifestations interdites ou pas, le Professeur Diouf ne ferait-il pas mieux de concocter un projet économique susceptible d’occuper les jeunes bien formés, les dissuadant ainsi de garnir les cohortes de manifestants violents ? Les manifestations prendraient alors une forme plus amène et plus efficace pour les laissés-pour-compte qui existent toujours et en grand nombre. Au lieu de cela, Makhtar Diouf s’en prend violemment et sans discernement aux magistrats de son pays. C’est que le commentateur fâché cette fois avec la concision oublie que la justice comprend les branches civile (règlement des conflits entre citoyens), pénale (traitement des infractions à la loi pénale) et administrative (prise en charge, entre autres, des conflits entre les citoyens et les administrations).

Pendant que le Professeur Diouf voue aux gémonies les juridictions supérieures (Cour Suprême, Haute Cour de Justice, Conseil Constitutionnel et Cour des Comptes), les tribunaux d’instance et les tribunaux de grande instance, les cours d’appel et les juridictions spécialisées contribuent, par leurs délibérations impartiales sur toute l’étendue du pays, à pacifier le Sénégal, permettant ainsi à l’Etat de droit de promouvoir, singulièrement au cours des dix dernières années, le développement économique dans la solidarité, perceptible, elle, à travers les quatre volets de la protection sociale universelle (Couverture maladie universelle, Bourse de sécurité familiale, Carte d’égalité des chances et Bonification retraite). Depuis peu, le cash transfert permet opportunément de soulager les détresses d’hommes et de femmes éligibles au Registre national unique (RNU) des ayants droit. Mais rien de tout cela n’est bon à dire puisque le « mandat présidentiel » est encore problématique au pays de la Téranga. En 2011, le Mouvementé du 23 juin (M23) s’appuya sur un collectif restreint de grands professionnels du droit public (Professeurs Babacar Guèye, Abdoulaye Dièye, Mounirou Sy, Ameth Ndiaye, Demba Sy, El Hadji Mbodj et Ababacar Guèye et Maître Doudou Ndoye) pour s’opposer pacifiquement à la candidature de l’ancien président Abdoulaye Wade pour un troisième mandat. La suite se passe aujourd’hui de commentaire.

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Alerte prémonitoire

Plutôt que de montrer aux jeunes qui le lisent comment faire un raisonnement scientifique, le professeur Diouf demande aux mêmes de choisir une personne plutôt qu’une autre quand arrive le moment. Une invite bien connue à faire de la politique pour des personnes et non pour des idées comme le recommandait le professeur Cheikh Anta Diop. Il y a 32 ans déjà, quand le géochimiste sénégalais, actif au laboratoire Carbone 14 de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), disait – « Alerte sous les Tropique », Présence Africaine, 1990 – vouloir « “provoquer la prise de conscience de tous les Africains d’Afrique noire” par le “travail d’avantgarde” qui amènera chaque Africain, depuis le Sahara jusqu’au Cap, (…) à réaliser qu’on doit lutter pour des idées et non pour des personnes, que le sort du peuple est avant tout dans ses propres mains, qu’il ne dépend pas essentiellement de l’éloquence revendicative d’un quelconque député (…), que le moyen naturel pour transformer la société et la Nature est la lutte collective organisée et adaptée aux circonstances de la vie, que dans cette lutte concrète le peuple (…) doit contrôler [l’]avant-garde d’une façon dépouillée de toute sentimentalité, que ce contrôle (…) est la meilleure garantie de l’efficacité de la lutte, (… ) [et] qu’ il (…) est nécessaire de dépasser le snobisme, la mode et les manies ».







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