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L’afrique Dans Une Economie Mondiale En Fragmentation

La guerre russo-ukrainienne entre dans une phase critique avec les déclarations guerrières de la Russie et le raffermissement du soutien militaire de l’Occident à l’Ukraine, que symbolise l’envoi de chars lourds. Le mot n’est pas encore lâché, mais au vu des développements récents, il est permis de penser que nous nous dirigeons tout droit vers un conflit militaire de dimension mondiale avec l’Europe comme théâtre des opérations, et en soubassement, des enjeux économiques mondiaux.

Nous voyons,sous nos yeux, l’organisation du commerce international centrée sur la devise américaine, la logistique de production et de transport des biens commerciaux, le réseau bancaire mondial de messagerie (Swift) duquel des pays comme la Russie et l’Iran ont été exclus, se fragmenter en plusieurs autres circuits pour la commercialisation des produits énergétiques comme le pétrole et le gaz essentiels à l’industrie occidentale, européenne en particulier.

Les BRICS et d’autres pays comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte, l’Algérie, d’autres pays d’Asie du Sud-Est, semblent opter pour d’autres monnaies de paiement comme le rouble et autres devises nationales, ainsi que d’autres logistiques d’approvisionnement et de transport (routes chinoises de la soie).

La déconnexion de la Russie du réseau bancaire SWIFT a accéléré la création d’un réseau de messagerie bancaire parallèle, lequel, relié à la « roublisation » des transactions de pétrole et du gaz russe et l’acceptation d’autres monnaies nationales de pays importateurs, entraîne un dérèglement progressif de l’organisation du commerce international, en place depuis la fin de la guerre froide.

L’embargo sur le pétrole russe, l’exclusion de la Russie du réseau Swift et la mise de d’une batterie de sanctions sont le phénomène déclencheur de cette désorganisation qui exclut du commerce mondial l’essentiel des ressources (énergie, engrais) jusque-là indispensables à l’industrie européenne et à l’agriculture mondiale.

Cette crise localisée entre la Russie et l’Ukraine a fini par créer une fragmentation du système économique mondial, déjà perceptible avec la montée en puissance des BRICS, de la Chine et de l’Inde en particulier, marquant le début d’une nouvelle opposition entre blocs économiques concurrents, s 30 années après la disparition de l’Union soviétique.

A la veille d’un conflit mondial aux camps nettement identifiés, les protagonistes comptent leurs amis. L’Afrique, qui a jusque là affiché une neutralité, est interpellée par les anciennes puissances tutélaires pour un soutien clair à l’Ukraine.

 Conscients que la tiédeur du continent africain dans cette affaire résulte de sa marginalisation systémique des flux du commerce mondial, les USA et l’Europe, la France en particulier, sont en pleine révision de leur modèle de coopération qui a fait faillite si l’on se fie aux résultats économiques engrangés et à la révolte de la jeunesse africaine.

Après l’Asie, le tour est venu pour l’Afrique de prendre son envol économique, a-t-on entendu ces dix dernières années en se basant sur des taux de croissance économique des Etats du continent supérieurs aux taux de croissance stagnants des économies occidentales, et sur le ralentissement de la croissance chinoise.

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De quelle Afrique s’agit-il d’abord ? L’Afrique est un seul et même pays lorsqu’on l’évoque dans la macroéconomie mondiale. Dans une approche plus micro économique, les partenariats et accords bilatéraux sont signés avec des Etats distinctement identifiés. Or, les pays à l’origine du partage de Berlin et de la balkanisation savent bien qu’unir des Etats que tout sépare n’est pas chose aisée.

Le développement économique du continent ne peut s’adosser à une approche émiettée de sa réalité qui a jusque-là prévalu dans le but d’optimiser la prédation de ses ressources minières

La création d’espaces communautaires en Afrique de l’Ouest, comme la CEDEAO (1975) et l’UEMOA (1994) avec le tarif extérieur commun et les unions douanières n’a pu casser cette inertie économique qui ne fait participer l’économie du continent qu’à hauteur de 2 % pour la production mondiale et 3% pour le trafic commercial.

La raison des ratios insignifiants est connue ! L’énorme plus-value tirée de la transformation industrielle externalisée de nos ressources minières prive l’Afrique de la valorisation adéquate de ses exportations.

Du commerce international, nos pays ne recueillent que lesflux financiers marginaux tirés des ventes de matières brutes dont les cours sont de surcroît déterminés au gré des options de spéculation des traders de Londres et Chicago.

De la nécessité d’une industrie pour créer de la valeur ajoutée à nos produits !

Ousmane SONKO du PASTEF a récemment parlé du manque à gagner pour le Sénégal à exporter nos réserves de fer sises dans la Falémé sans transformation, en signalant que la disponibilité du gaz permettrait de produire de l’acier ou de l’aluminium à des prix compétitifs et encaisser la plus-value.

Bien entendu, cette question présuppose la disponibilité des ressources financières, le know how et le partenariat avec les firmes internationales sur des bases plus équitables que les partenariats public privé (PPP) financièrement mortifères.

La même observation peut être faite sur l’or dont le Sénégal a produit près 16 tonnes en 2021 essentiellement exportées sans transformation vers la Suisse et l’Australie pour une valeur de FCFA 390.7 milliards.

La part à réserver aux artisans nationaux reste à définir, selon les responsables de l’Association des bijoutiers du Sénégal.

Les flux commerciaux réalisés dans le cadre des organisations communautaires sus évoquées existent, certes, mais pour des quantités peu significatives au regard des statistiques officielles (les mouvements du secteur informel restent à être pris en compte pour l’exhaustivité des données)

Pour que l’Afrique constitue un ensemble économique homogène, il est indispensable que la transformation des matières premières se fasse dans le périmètre régional et dans les pays les mieux à même d’assurer la transformation compétitive de ses produits industriels.

Les yeux sont actuellement rivés sur la Zone de libre échange continentale africaine (ZLECAf) qui serait la solution à l’émergence économique du continent.

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Cette nouvelle institution serait-elle un nouveau leurre ?

Une zone de libre échange conçue pour réorienter en interne les flux commerciaux du continent ne doit-elle pas être précédée, ou alors accompagnée, d’une industrialisation ?

Des ouvrages d’experts sur les échanges communautaires commencent à sortir. Le statisticien sénégalais Souleymane Diallo, dans son livre « Radioscopie des exportations sénégalaises en vue de la ZLECAF », met en relief la structure du commerce extérieur des pays membres, ainsi que les opportunités et les risques encourus par le Sénégal dans ce nouvel espace dont les règles vont se substituer à celles en vigueur au niveau de la CEDEAO, où « le Sénégal réalise plus de 40% de ses exportations de biens depuis 2007 ».

Dans cet ouvrage, on apprend avec étonnement que les exportations du Sénégal vers la Côte d’Ivoire ne représenteraient que 1 % des importations de ce pays, alors que leurs économies sont les plus fortes de l’UEMOA dont ils partagent la monnaie (FCFA) et le même environnement juridique harmonisé.

Dans la même veine, les exportations du Sénégal vers le Burkina Faso, ne représenteraient que 2% des importations de ce pays. Globalement les échanges entre pays de l’UEMOA ne dépassent pas 15 %.

À titre de comparaison, 60 % des échanges européens s’effectuent sur le continent même, tandis que ce taux s’établit à 40 % pour l’Amérique du Nord.

Cette distorsion de la structure des échanges signifierait que les besoins en biens de consommation et d’équipements des pays partageant ces espaces ne peuvent être satisfaits qu’à l’extérieur de ces derniers.

Dès lors, à quoi cela servirait d’avoir une monnaie commune si les échanges commerciaux sont si peu significatifs ? S’agit-il d’une vacuité d’offre industrielle, d’un taux de change monétaire défavorable aux pays exportateurs, d’un défaut de compétitivité ? Il doit y avoir un peu de tout cela.

Pour conclure, la crise géopolitique en cours a produit une fragmentation géoéconomique ou, comme certains l’appellent, une « démondialisation » avec comme principales manifestations la dédollarisation partielle du commerce des produits énergétiques et céréaliers, le contournement du réseau mondial de messagerie bancaire SWIFT, avec la Chine et la Russie à la manœuvre, et la substitution progressive des logistiques d’approvisionnement de transport et de livraison par les routes chinoises de la soie.

Le déficit de produits alimentaires, dont l’Afrique est importatrice nette, a induit une exigeante priorité, celle de la souveraineté alimentaire.

Dans une précédente contribution, nous évoquions les contraintes de l’agriculture sénégalaise, à savoir la question de la propriété foncière, la qualité des ressources en eau soumises à haute pression par les usagers, la dégradation de sols non régénérés, les coûts élevés des aménagements hydro agricoles et de leur réhabilitation, l’aversion des banques commerciales au risque agricole, et la faible dimension ainsi que la faible compétitivité des exploitations agricoles (1/2 hectare en moyenne), souvent de type familial, peu susceptibles de générer de la rentabilité et des économies d’échelle.

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C’est avec une base d’exportation diversifiée, constituée de produits agricoles et industriels transformés qu’une politique monétaire à la hauteur de celles pratiquées par les pays d’Asie sur des monnaies en parfaite communion avec l’économie réelle, prendra tout son sens.

La création d’une zone monétaire couvrant la CEDEAO dans son ensemble serait à notre avis immédiatement improductive, si l’on tire les enseignements du fonctionnement actuel de la zone Euro, en proie à la disparité des structures économiques des pays du Sud comme la Grèce, l’Espagne et l’Italie, par rapport à celles du Nord et de l’Ouest

Aussi, la création de sous zones monétaires à l’échelle de pays compatibles en termes de structures économiques et de sensibilité aux chocs exogènes, devrait être étudiée, l’ensemble étant relié par une structure faîtière en charge de la gestion des réserves de changes essentielles pour le commerce extérieur.

Il faudrait, dans cette perspective, créer ou renforcer les pôles d’intelligence économique au niveau supra national (Agenda 2063), avec comme mission d’étudier en profondeur la question de la complémentarité des économies nationales et proposer des stratégies économiques, monétaires, industrielles et commerciales permettant d’y parvenir.

Enfin, en termes de positionnement géostratégique, le continent devrait privilégier le critère d’efficacité dans le choix des partenaires devant l’accompagner vers le développement industriel

L’industrie est, en effet, le secteur le plus lucratif dans le commerce international lorsqu’il est allié aux technologies de pointe pour la production de biens à haute valeur ajoutée.

Faute de capitaux propres et de know how, les investissements directs étrangers doivent y être encouragés mais sur des bases équitables favorisant le transfert de technologies

Le partenaire naturel de l’Afrique aurait dû être l’Occident au regard des liens souvent douloureux ayant prévalu mais des erreurs stratégiques ont été commises, incitant l’Afrique à multiplier ses partenaires économiques sur la base de ses stricts intérêts.

L’Asie a été préférée par l’Europe à l’Afrique en termes de délocalisation industrielle, alors que la proximité des matières premières stratégiques aurait dû représenter un critère déterminant.

Les gouvernants de l’Afrique n’ont pas cru bon de miser sur le capital humain, le savoir faire technologique, qui ont fait de l’Asie la destination prisée des investissement internationaux

Avec l’accroissement de ses coûts de production intérieurs, la Chine délocalise progressivement son industrie

L’Éthiopie est l’une des destinations privilégiée des investisseurs chinois parce que l’énergie y est moins chère et les salaires moyens faisant à peine 1/10eme des salaires d’un ouvrier chinois. Ces mouvements de délocalisation devraient être organisés à l’échelle des organisations africaines, de façon à bénéficier de plus-values tant financières que technologiques.







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