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Reformer L’ofnac Et Reviser Les Criteres De Designation Des Membres

Les changements des mentalités des dernières années n’ont pas été compris à temps par ceux qui nous dirigeaient. C’est ainsi que le vrai vainqueur des élections de février 2024 est la lutte contre l’impunité faisant de la moralisation de la vie publique et du renouveau politique son cheval de bataille. La nouvelle loi adoptée par l’Assemblée nationale le 9 février 2024 après sa promulgation par l’ancien chef de l’Etat le 30 janvier 2024 plombe toute la politique de lutte contre la corruption. Telle que libellée, ces nouvelles lois qui régissent la lutte contre la corruption portent en elles-mêmes les germes du laisser-aller et de la corruption à outrance.

DU MODE DE NOMINATION DES MEMBRES DE L’OFNAC

Il n’existe pas, comme cela se fait dans les autres pays, un appel à candidature pour sélectionner les membres de l’OFNAC. Leur désignation relève de la «volonté» du Chef de l’Etat. Cette démarche constitue le premier biais dans la lutte contre la corruption. Ceux qui doivent lutter contre la corruption ne doivent pas être choisis selon le bon vouloir du prince, selon un critère de «rétribution pour services rendus» mais plutôt pour la valeur ajoutée qu’ils doivent apporter à la lutte contre la corruption. Mais plus grave encore, la présente loi confère au Président de l’OFNAC une stature de super procureur «au-dessus des 14 autres procureurs de la République» qu’il peut dessaisir à tout moment en un claquement de doigts. Par ailleurs, au vu des pouvoirs que lui confère cette loi, les critères de sélection des membres et du président de l’OFNAC restent biaisés car seuls des magistrats devront diriger l’OFNAC pour avoir le pouvoir d’émettre des mesures de «gardes à vue». Cependant, l’OFNAC est une Autorité Administrative Indépendant (AAI), la première présidente de l’OFNAC était Inspecteur Général d’Etat (IGE) suivi d’une Magistrate. Avec l’actuelle configuration de la loi, l’OFNAC ne peut être dirigé que par un «super procureur» au-dessus de tous les procureurs de la République. La loi 2012-30 prévoit que les membres de l’OFNAC sont issus de l’administration de la hiérarchie Al ou assimilée au moins, les enseignants de rang magistral, des Universités, les membres de la société civile et du secteur privé titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur de niveau master ou équivalent au moins. Ce qui n’est plus possible avec la configuration de la loi du 2024-06 du 30 janvier 2014. L’institution peut être dirigée par un IGE, un magistrat, un diplomate, un économiste, un gendarme, un journaliste, un professeur d’universités ou un ingénieur des ponts et chaussées comme cela se fait dans les autres pays. Quoiqu’il en soit l’accession à la position de membre de l’OFNAC devrait faire l’objet d’un appel à candidature pour être certain de la valeur ajoutée à apporter dans la lutte contre la corruption. La station de Vice-président aussi a été totalement dévoyée par la nouvelle loi du 30 janvier 2024. En effet, alors que pour la loi de 2012-30 le vice-président assure la suppléance du Président. Dans la nouvelle loi, concernant les investigations, le président a le loisir de choisir un autre membre pour sa suppléance qui devrait échoir au vice-président. Ce qui ne donne plus de raison d’être au poste de vice-président.

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VOUS AVEZ DIT «GARDES A VUE?»

La nouvelle loi votée promulguée et finalisée en février, juste avant les élections présidentielles donne à l’OFNAC le pouvoir d’émettre des «gardes à vue» ! Au nom du respect des droits de la personne, la garde à vue est strictement encadrée par le Code de Procédure Pénale (loi n°2016-30 du 08 Novembre 2016). Aussi, il appartient aux officiers de police judiciaire qui travaillent sous la direction du Procureur de la République le placement en garde à vue, le renvoi devant le tribunal compétent pour jugement, ou classer le dossier sans suite. L’OFNAC étant une Autorité Administrative Indépendant (AAI) ne jouit pas de ces prérogatives-là qui sont dévolues au seul procureur de la République, pardi !

UNE PRESTATION DE SERMENT DEVANT LES MEMBRES DE L’OFNAC !

Autre incongruité, les enquêteurs de l’OFNAC devront prêter allégeance à l’Assemblée des Membres. En effet, en lieu et place des prestations de serment devant la Cour d’appel de Dakar conformément au serment fixé par décret d’application, les enquêteurs devront prêter serment, devant l’Assemblée des membres. Le serment dont la teneur suit : «je jure solennellement de bien et fidèlement remplir mes fonctions, en toute impartialité, de façon digne et loyale et de garder le secret des enquêtes.» Quid des agents de l’OFNAC qui gèrent au quotidien les déclarations de patrimoine ou le système de sécurité ? S’il estime que les faits pendants au niveau d’une autorité d’enquête sont de sa compétence, (enrichissement illicite, soupçons de corruption, …) le Président de l’OFNAC peut, par réquisitions écrites, en dessaisir cette autorité (IGF, IGE, Cour des Comptes, Centif, procureur) qui est tenue de se conformer auxdites réquisitions dès qu’elle en a connaissance, quel que soit le moyen. Les dossiers des prédations effectuées avec la complicité de fonctionnaires milliardaires sont connus de tous et les rapports existent. Face à cela le coude sera levé pour l’instruction des dossiers et l’exigence de rembourser les sommes détournées. Ceci explique en partie pourquoi les ordonnateurs de dépenses ont tout fait pour se soustraire à l’exercice de déclaration de patrimoine, se sachant protégés par un coude. Les nouvelles lois de lutte contre la corruption qui devraient chercher à mieux sauvegarder et préserver les ressources et intérêts financiers de l’Etat, constituent la couche de trop qui vient torpiller toutes les velléités de lutter efficacement contre ce fléau. Ces lois recèlent en elles-mêmes les limites qui ne vont pas dans le sens d’une lutte efficace contre la corruption. Elles créent plutôt une confusion dans les rôles et prérogatives de l’OFNAC, à vouloir étendre ses prérogatives à l’enrichissement illicite, qui relevaient d’autres autorités d’enquête.

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DE LA REPRESSION DES ACTES DE CORRUPTION

Ce que la proposition de loi déposée en juin 2022 avait demandé à l’ancien Président Macky Sall était de permettre à l’Office de mettre en œuvre les mesures de répression. Dans son exposé des motifs, la loi devra permettre à l’OFNAC, dans le cadre de ses missions d’investigations de «procéder à des perquisitions et saisies de tous objets matériels ou immatériels ayant servi à la commission des faits…solliciter le juge d’instruction saisi de procéder à des mesures de gel de biens, la confiscation des avoirs fonds et autres ressources détenus possédés ou contrôlés par toute personne contre qui existent des indices de commission des faits visés à l’article 2». Enfin, l’OFNAC peut se constituer partie civile pour les faits visés à l’article 2. Au lieu de cela, la nouvelle loi propose de dessaisir tout procureur qui traiterait de faits de corruption et/ou d’enrichissement illicite !

LA SAISINE DE L’AUTORITE JUDICIAIRE

En respect de la loi, l’OFNAC avait proposé, à l’issue de ses investigations, si les informations collectées et analysées font présumer l’existence de l’une des infractions visées à l’article 2, de transmettre à l’autorité de poursuite compétente le rapport. Dès réception du rapport et des pièces l’autorité, saisie ordonne immédiatement les poursuites appropriées en saisissant un juge d’instruction ou la juridiction de jugement compétente. A l’expiration d’un délai de six (6) mois sans aucune poursuite, l’OFNAC saisira directement le juge d’instruction d’une plainte de constitution de partie civile conformément aux dispositions du Code de procédure pénale.

DU TRAITEMENT DES RECALCITRANS A LA DECLARATION DE PATRIMOINE

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Le projet de loi relatif à l’encadrement de la déclaration de patrimoine avait prévu des sanctions. Ces sanctions ne verront cependant jamais jour. En effet, l’inobservation de l’obligation de déclaration d’entrée en fonction ou de mise à jour, après mise en demeure de l’OFNAC, par exploit d’huissier restée sans suite au bout d’un mois, devrait entraîner les sanctions telle la retenue du ¼ de sa rémunération mensuelle, voire être démis de ses fonctions par l’autorité de nomination dans les 30 jours à compter de la notification par l’Office. Les fausses déclarations de patrimoine sont, elles punies d’un emprisonnement de 6 mois à 3 ans. Ce qui rejoint l’article 25 des dispositions pénales de la loi 2012- 30 qui stipule que «est punie d’une peine d’emprisonnement de 1 à 3 ans et d’une amende, tout acte qui constitue une entrave à la mission de l’OFNAC par suite d’une sommation, un refus de communiquer toute information ou tout document utile dûment réclamé». Un seul article de presse ne saurait retracer le recul extraordinaire constaté que subit le Sénégal avec le vote en mode «Fast Track» des lois 2024- 06 et 2024-07 modifiant de fond en comble la lutte contre la corruption dans notre pays. Des lois promulguées et adoptées par l’Assemblée nationale à 15 jours de la date prévue de l’élection présidentielle.

CONCLUSION

Sur quoi déboucheront ces mutations des exigences de redevabilité ? Il est difficile de le présager. Tout dépendra de la capacité des nouvelles autorités à répondre aux aspirations collectives sur les plans de la reddition des comptes et d’une bonne gouvernance. Les nouvelles autorités n’auront d’autres choix que d’appliquer la loi. Macky Sall avait averti en disant que «la CREI est pour l’ancienne équipe mais l’OFNAC est pour nous». Le contrôle de la Déclaration de patrimoine pour la sortie est non seulement une exigence de la loi mais aussi une demande sociale expresse des Sénégalais. Il est temps que les dossiers de corruption et de détournements de deniers publics perpétrés depuis plus d’une décennie sans impunité soient réglés. La reddition des comptes n’est pas négociable. C’est une demande sociale. Enfin, la fameuse Stratégie Nationale de Lutte Contre la Corruption (SNLCC) qui a fait l’objet d’un long processus consensuel est oubliée dans les tiroirs alors que l’OFNAC l’avait piloté avec beaucoup d’enthousiasme. Tous les dossiers d’enquête doivent être exhumés et des juges d’instruction commis pour la poursuite de la procédure.

MOUNIROU FALL ÉCONOMISTE.







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