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Comment J’ai Vecu (et Vaincu) Mon Begaiement, Du Scolaire Au Monde Professionnel

Comment J’ai Vecu (et Vaincu) Mon Begaiement, Du Scolaire Au Monde Professionnel

Mon bégaiement a commencé dès le bas âge. Je ne me souviens pas d’avoir eu une parole fluide durant mon enfance. Je n’ai subi aucun traumatisme et personne ne bégaie dans mon entourage immédiat. Je n’ai jamais été suivi par un orthophoniste ou un psychologue. Je me suis débrouillé seul pour trouver des stratégies plus ou moins efficaces afin de faire face à des situations difficiles de prise de parole durant tout mon parcours scolaire. Aujourd’hui, j’ai dépassé la trentaine, je suis dans le monde professionnel et je suis toujours contraint de composer avec le bégaiement, mais avec une toute autre mentalité.

École primaire : lire à haute voix était difficile

Mes premiers souvenirs remontent à l’école élémentaire, au CI précisément. Je me rappelle avoir eu beaucoup de difficultés à lire à voix haute. J’avais du mal à prononcer correctement les mots et à finir des phrases. Bafouillages, répétitions, hésitations, blocages… étaient caractéristiques de ma parole. Répéter une phrase aussi simple que ‘’Sidy va à l’école’’ me prenait beaucoup plus de temps, comparé aux autres élèves. Je ne me sentais pas différent par rapport aux autres enfants, mais j’étais surpris de ne pas pouvoir parler comme eux. Je rappelle que notre maîtresse d’école, madame Ndao, était bienveillante à mon égard. Elle ne me faisait aucune remarque sur ma façon de dire les mots et ne me forçait pas à lire. Ce fut le cas durant presque tout mon parcours au primaire. Personne ne se moquait de moi en classe, même s’il y avait quelques petites railleries des camarades dans la cours de récréation.

Collège et lycée : stratégie de l’évitement

C’est au collège que j’ai eu le plus de mal à accepter mon bégaiement. Quand je me suis entendu parler pour la première fois, je me suis senti ridicule. J’avais une élocution saccadée, un débit rapide, beaucoup d’hésitations… Alors j’ai essayé de masquer mon bégaiement du mieux que j’ai pu. Je fuyais systématiquement toutes les situations de prise de parole en classe. Je parlais peu ou pas. Les tours de table pour se présenter en début d’année et les présentations d’exposés étaient un véritable calvaire. Je vivais un stress permanent lors des cours d’anglais où il y avait beaucoup d’exercices oraux. Je butais beaucoup sur les voyelles, en particulier la lettre A. Et cela a longtemps conditionné ma vie jusqu’à dicter mes choix alimentaires. Je préférais par exemple acheter du pain thon plutôt que le pain acara (beignets haricots) juste pour éviter le A de acara.

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Et comme je l’ai expliqué à l’Association bégaiement communication du Canada, il y a quelques mois, mon prénom Arouna me posait encore plus de problème puisqu’il n’y a pas d’autre mot équivalent. Pour contourner la difficulté, je place une consonne devant pour le dire plus facilement : C Arouna, T Arouna… Malgré toutes ces difficultés, mon bégaiement n’a pas vraiment impacté ma scolarité. Mis à part les exercices oraux, j’ai beaucoup aimé les études et toujours eu de bonnes moyennes. J’ai même été, quelques fois, premier de ma classe. Au lycée, j’avais un peu plus confiance en moi et j’étais moins angoissé à l’idée de prendre la parole, surtout en public. C’est ainsi que j’ai été volontaire pour être responsable de classe et président du club scientifique pour encore plus me confronter à ces situations.

Monde professionnel : internet m’a sauvé

Mon bégaiement a toujours été en courbe sinusoïdale. Je suis capable d’enchainer une très bonne période avec d’autres plus compliquées. En classe de 3e au collège et en 1ère au lycée, je me souviens d’avoir eu des années très fluides. Pareil, durant quelques années à la fac. Pendant la période de formation professionnelle, par contre, tout était bien plus difficile. Parler était devenu un vrai supplice. Je déployais des efforts importants, voire extrêmes, avec peu de satisfaction. Et cela m’a fortement porté préjudice lors de mon tout premier entretien de stage qui finalement, restera le dernier. Je me rappelle encore de cet après-midi du mois de juin. J’avais rendez-vous avec l’entreprise à Dakar. J’avais parcouru une distance assez longue pour être sur les lieux à 15h. Il faisait chaud. J’étais fatigué. Je venais d’enchainer deux années de formation dans un contexte social très difficile. Et pour ne rien arranger, la peur d’être jugé sur ma façon de parler me tétanisait. Je vous passe les détails de l’entretien, mais je peux vous dire que j’ai fait pire que le rater, c’était une catastrophe. Et depuis lors, je me suis juré de ne plus passer des entretiens d’embauche. Sauf si c’est le président de la République qui m’appelle peut être. C’est ainsi que j’ai quitté ce secteur pour retourner à mes premiers amours : le web et internet de façon générale.

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Pendant mes années de fac, j’avais développé des compétences dans ce domaine, notamment grâce à des formations avec Radio France International (Rfi) et avec des entrepreneurs du web sénégalais comme Basile Niane et Moustapha Sarr (bègue comme moi) qui m’ont fait découvrir le monde de l’entrepreneuriat web. Mais j’ai surtout eu la chance de rencontrer l’un des plus grands consultants Seo français, qui m’a proposé de travailler avec lui, sans m’embêter avec des entretiens ou des réunions en ligne, juste sur la base de ce que je savais faire. Et cela dure depuis des années maintenant. Aujourd’hui, ma posture professionnelle, le fait d’être jeune chef d’une petite entreprise (et d’une petite famille)m’aide à penser positivement et à me convaincre que je n’ai rien à prouver ni à craindre.

Mon bégaiement n’a pas disparu (même si j’ai l’impression de m’être bien amélioré), mais je l’ai vaincu puisque je ne crains plus de buter sur les mots face à n’importe qui et à n’importe quel auditoire. Sortir du bégaiement, c’est sortir de la peur de bégayer, comme disait l’autre.

La journée mondiale du bégaiement a été célébrée au Sénégal ce 23 octobre par l’Association pour la prise en charge du bégaiement au Sénégal (Apbs) avec comme thème ‘‘Parlons pour créer le changement’’. Sur ce, je partage cette réflexion de Stéphane Laporte, chroniqueur québécois : «J’aimerais dire à tous les petits culs qui bégaient de ne pas s’enfermer dans le silence. Bien sûr, il y aura toujours des cons pour rire de vous. Mais ce n’est pas grave. Eux n’expriment que leur bêtise. Vous, vous avez de belles choses à dire. Et ce n’est pas parce qu’elles prennent plus de temps à être transmises que vous devez les taire. Aristote, Isaac Newton, Jean-Jacques Rousseau, Winston Churchill, Albert Einstein bégayaient, et ils ont tous été entendus. Pour le bien de tous. Alors, parlez-nous. Pour le bien de vous. Pour le bien de nous. »

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