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France-afrique Noire Francophone, Des Relations Ubuesques !

« Paris intervient, et on dénonce son ingérence, voire son « néocolonialisme » ; Paris s’abstient, et on lui reproche son « indifférence », on lui rappelle sa « responsabilité historique», cette phrase tirée de l’avant-propos de Comment la France a perdu l’Afrique[1] – quoique discutable à bien des égards – semble bien décrire le paradoxe et la complexité des relations qu’entretient la France avec ses anciennes colonies de l’Afrique noire francophone.

En effet, ces relations sont pour le moins ambigües et ubuesques. Pour autant, elles semblent toujours subsister, d’une part, à cause entre autres de la pusillanimité de certains chefs d’État africains, obnubilés par le pouvoir, qui veulent être indépendants sans pour autant avoir le courage de couper le cordon ombilical colonial les liant à l’ancienne métropole. Sans doute pensent-ils qu’en se mettant au service de la France – souvent au détriment de leur peuple – celle-ci pourrait leur servir de rempart en cas de menaces, aussi bien internes qu’externes, pouvant leur coûter leur pouvoir qu’ils veulent souvent pérenne. D’autre part, avec son attitude velléitaire, son double langage et surtout son éternel refus de décoloniser complètement afin préserver ses intérêts économiques, politiques et géostratégiques…l’ancienne métropole prône une rupture tout en restant présente sur le continent avec ses nombreuses bases militaires et corrélativement ses interventions innombrables et interminables. Une bonne soixantaine[2] depuis les proclamations officielles des indépendances au début des années 60.

Tout en reconnaissant le rôle important que joue l’Afrique dans le maintien « du prestige et du pouvoir de la France » dans le monde – dans son livre dont le titre est pour le moins évocateur : L’Afrique, notre avenir -, Jacques Godfrain, ancien ministre de la coopération sous Chirac, à l’instar de nombre de ses compatriotes politiciens, qualifie fallacieusement et hypocritement ces rapports de domination néocoloniale de relations d’amitié et d’intimité : «  C’est ainsi : grâce à ce lien avec l’Afrique, la France ne sera ni le Liechtenschtein ni même l’Allemagne. Nous sommes un pays à part en Europe. Aux Nations-Unies, grâce à l’Afrique, nous pesons plus lourd que notre population, notre superficie ou notre produit intérieur brut. L’Afrique est pour nous un levier formidable. Petit pays, avec une petite force, nous pouvons soulever la planète parce que nous sommes en relations d’amitié et d’intimité avec quinze ou vingt pays africains[3]. ».  François Mitterrand a été, quant à lui, plus direct et moins ambigüe : «Il est des domaines non négligeables, un pré-carré, dont je revendique, lorsqu’il est empiété, qu’il soit reconquis et rendu à la France. Dans ce pré-carré, je distingue en premier notre langue, notre industrie et notre sécurité, qui sont autant de fronts où garder nos défenses sans les quitter des yeux. Que l’une cède et la citadelle cédera[4]« .

Les agissements de la France sur le continent, depuis la fin officielle de la colonisation, sont en droite ligne avec la défense de ce pré-carré que revendiquait l’ancien président socialiste. Ce qui va souvent à l’encontre de la souveraineté de ses anciennes colonies. Ce n’est dès lors pas alors étonnant que le divorce, qui y a été prononcé il y a plus d’un demi-siècle entre elle et nombre de ses anciennes colonies ne soit pas totalement consommé. Mais cette relation incestueuse qui perdure semble symbiotique. Car autant Paris est attaché à la préservation des intérêts de toutes sortes qu’il peut tirer de son pré-carré, autant certains dirigeants avec qui il est en complicité dans la défense de ceux-ci y sont prêts à lui obéir au doigt et à l’œil en contrepartie du soutien qu’il leur apporte pour la préservation de leur pouvoir. Paul Biya, Faure Gnassingbé et Idriss Deby – pour qui la France a dû envoyer des mirages afin neutraliser les rebelles de l’UFR qui menaçaient son pouvoir au mois de février dernier- et Blaise Compaoré qui a été exfiltré vers la Côte-d’Ivoire après moult tentatives infructueuses de le maintenir au pouvoir ne diront pas le contraire. Bien que l’on soit loin du temps des opérations aussi ostentatoires qu’humiliantes, comme le fut le cas de l’opération Barracuda, parce que le contexte international ne s’y prête plus, les interventions françaises semblent avoir pris d’autres formes avec le prétexte ou la raison fourre-tout de la lutte contre le terrorisme ou le jihadisme islamiste et les cache-sexes de l’ONU et/ou de l’U.A…servant à donner des semblants de légalité internationale à des opérations ayant des visées inavouées.

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Concernant les propos récents du président Macron, en plus d’être discourtois à l’égard de ses homologues africains, ils sont pour le moins hypocrites. Comment comprendre qu’un pays qui a réduit tes grands-parents en esclaves pendant des siècles, tes pères en colonisés pendant plus de cent ans puisse un beau jour envoyer ses fils pour sécuriser les tiens sans contrepartie ? Il faudrait être naïf pour croire que la France, devenue aussi humaniste et compatissante envers ses anciens colonisés, agit par philanthropie au Mali comme tente de la faire croire Macron. Il ne faudrait perdre de vue le sous-sol de ce pays regorge de ressources naturelles et que l’uranium nigérien, qui n’est pas très loin est à sécuriser. Sans  mentionner les Américains et les Chinois qui attendent un faux-pas de la France dans son pré-carré pour l’y remplacer. Le président français a omis de mentionner ces choses-là. Il a aussi oublié de dire qu’aucun pays au monde n’envoie ses soldats pour les faire tuer pour les beaux yeux d’un autre, fût-il prétendument ami, sans contrepartie. S’il y a un sentiment anti-français grandissant sur le continent, comme il l’a noté,  c’est parce que les Africains en ont assez des double-jeux, de l’arrogance, du paternalisme et des humiliations que son pays fait subir à nombre d’entre eux sur leur propre sol. De plus, « Ça n’existe nulle part, des bruits de bottes étrangères agréables aux oreilles,» comme disait Boubacar Boris Diop[5].

Malheur étant bon a quelque chose, le discours du président Macron permettra peut-être de mettre certains de ses homologues africains devant leurs contradictions et leurs mensonges. Car ce qu’ils disent dans leur pays et devant leur peuple est souvent différent de ceux qu’ils racontent une fois enfermés à l’Élysée, et les accords qu’ils y signent sont souvent méconnus de leur peuple.

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D’aucuns diront certainement que c’est trop facile de critiquer et d’accuser les Occidentaux à chacune de leurs interventions, parfois nécessaires sur le continent africain ; que si les Africains sont incapables d’assurer la sécurité de leurs concitoyens et celle des ressortissants étrangers sur leur sol, il faudrait que quelqu’un d’autre le fasse à leur place. À ceux-là il faut répondre, qu’ils n’ont pas tort, mais ce sont souvent ces pays occidentaux qui jouent aux pompiers et aux pyromanes, qui allument des feux qu’ils s’empressent d’éteindre afin légitimer leur présence sur le sol africain pour des raisons économiques, politiques et/ou géostratégiques.

Au final, l’intervention du président Macron sur la présence de l’armée française dans le Sahel aura au moins eu le mérite de nous pousser à nous poser certaines questions. Qu’avons nous fait pendant bientôt 60 ans « d’indépendance » ? Ne serait-il pas temps de mettre sur pied une force africaine forte qui assurerait la sécurité sur le continent afin d’éviter les ingérences des puissances étrangères néocoloniales ? Un continent incapable d’assurer sa propre sécurité militaire, sanitaire, alimentaire et tutti quanti ne pourra jamais se développer. « La sécurité précède le développement », nous disait Cheikh Anta Diop. La véracité de cette assertion se confirme chaque jour que Dieu fait.

[1]Antoine Glaser, Stephen Smith, Comment la France a perdu l’Afrique, p.9

[2] https://survie.org/publications/4-pages/article/l-armee-francaise-en-afrique

[3] Jacques Godfrain, Afrique notre avenir, p.16

[4] Réflexion sur la politique extérieure de la France. Introduction à 25 discours (1981-1985) p.14, Philippe Marchesin, Mitterrand,  l’Africain, Politique Africaine n. 58

[5] Boubacar Boris Diop, La gloire des imposteurs, livre coécrit avec Aminata Traoré, p.138

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