Contributions de Aboubakr TANDIA
Dans ce qui suit nous tentons une comparaison verticale—une analyse dans le temps—de ce qu’il convient d’appeler l’instabilité gouvernementale qui semble caractériser le système politique sénégalais depuis les indépendances. Il y a certes des variations contenues dans la manière dont les situations sont gérées par les élites gouvernementales. Cela dit, en dépit de ces variations sur lesquels nous proposons de revenir dans un autre texte, celui-ci étant déjà assez long, il semble que les régimes successifs, les chefs d’Etat qui se sont relayés au sommet de l’Etat, ont affectionné et retransmis les mêmes reflexes et les mêmes rapports au pouvoir et à la politique. Cela en dépit de la spécificité que peut avoir chaque régime et chaque personnalité ainsi que les situations dans lesquelles ils ont du évoluer. On se rend compte en effet que l’instabilité gouvernementale traduite dans le changement et le réaménagement incessants d’équipes gouvernementales est liés aux mêmes facteurs, indifféremment du régime politique ou de l’homme fort. Il s’agit en l’occurrence des crises au sommet de l’Etat en premier lieu : incompatibilité d’humeurs, faible contrôle du Président sur son entourage, absence de consensus autour du chef de l’Etat et/ou du Parti (dominant) au pouvoir, faiblesse de la légitimité du Président ou du régime, succession politique souvent frappée de soupçons d’illégitimité ou entachée par des manœuvres électorales et constitutionnelles.
La vindicte qui s’est abattu violemment sur les biens et la famille de Moustapha Cissé Lô en a indigné plus d’uns. Il y a de quoi, cela est indéniable. Surtout pour un musulman, un disciple de Serigne Touba de surcroit, connaissant le saint et son œuvre ainsi que ses différents héritiers et successeurs. On ne peut pas donc avoir de doute sur le fait que, face à la colère des talibés du vénéré guide mouride que le député Moustapha Cissé Lô aurait brutalement abusé, d’autres disciples mourides et d’autres musulmans ou de simples citoyens, croyants ou pas, musulmans ou pas, se soient sentis profondément atteints à travers toutes ses identités qui ne cessent d’être en conflit. Même pour le sénégalais qui est possiblement parvenu à se départir de l’une ou l’autre, il s’impose des limites par égards, sinon par conscience, du fait qu’il est peut-être une exception à coté de la règle. En effet, l’histoire du Sénégal et du sénégalais n’a jamais cessé d’évoluer autour de cette identité double, cette tension entre son ontologie cosmopolite et la téléologie politique de l’identité nationale, c’est-à-dire en théorie de l’absence d’identité pour l’Etat. Sauf que, en pratique, l’Etat a bel et bien une identité, la citoyenneté. On a parfois pris la citoyenneté comme une identité qui importe au-dessus des autres—appartenance ethnique, religieuse, régionale, politique, etc.
Peut-on se permettre de faire reposer la faute sur les parents si aujourd’hui, au moyen de la surenchère et de la répression, le gouvernement tente de voiler son incompétence et son manque de contrôle sur le système de l’enseignement supérieur, ou sur celui de l’éducation de façon plus générale ? Jamais les parents n’ont été associés de manière démocratiques aux réflexions qui ont conduit à ces réformes dévastatrices qui ne sont ni plus ni moins que le fruit des vœux bien dissimulées des bailleurs—le FMI, la Banque Mondiale et le Club de Paris—et des corporations privées internationales pour lesquelles ils roulent.
Il ne serait pas inutile de mettre toute la pensée que je développerais dans les lignes qui suivent sous réserve de ceci : que l’on ignore encore si le Califat de Touba a décidé en connaissance de l’existence et des dispositions de la loi sur la parité ; que le Calife a un droit de regard absolu sur tout ce qui se fait au nom de Touba et sur le territoire de Touba. Qu’il se permette d’amender et de viser en dernier ressort la liste des futurs « gouvernants » de Touba ne devrait donc pas être une surprise, encore moins une étrangeté quelconque. Par ailleurs, il pourrait se trouver que, au cas ou il n’ignorerait pas les implications de la loi, le Calife n’ait pas trouvé de femme qui mérite sa confiance au point de figurer sur cette liste de laquelle il a retiré des hommes faute de n’avoir pas pu s’assurer de leur bonne foi et de leur aptitude à servir. Il n’y a pas à ma connaissance de femme qui se soit plaint de l’autorité du Calife sur Touba. Or c’est de cette autorité que tout le reste part si l’on veut rester honnête et éviter le péril de l’anachronisme dans le débat.
Certes, une grande partie de notre peuple a souffert des hiérarchies de nos sociétés ancestrales. Peut-être même qu’on n’a pas encore fini de faire les frais des inégalités a priori qui infusent de l’implacable deus ex machina de la stratification sociale. Ce qui ne saurait justifier l’ingratitude impardonnable d’en oublier les facettes civilisatrices dont l’héritage nous vaut aujourd’hui de n’avoir pas été entièrement à la merci de la supercherie universaliste dont la géométrie fluctuante n’a jamais cessé de converger vers l’impérialisme culturel.
Le vendredi 21 mars 2014 l’Assemblée nationale avait de nouveau légiféré. Elle avait voté la loi sur la déclaration de patrimoine enjoignant à une catégorie d’élus et de fonctionnaires de la République de porter à la connaissance de l’Etat, leur employeur, l’état de leurs biens personnels. Comme on le sait, cette nouvelle loi n’a pas échappé à la controverse et au scepticisme des uns et des autres, même si elle a fait le bonheur de quelques uns, notamment parmi les députés qui l’ont examiné et approuvé en l’état. C’est précisément la signification de ce clivage combinée à avec celle de la loi en question qui mérite de l’attention.
Quelle drame tragique que celui qui s’est abattu sur l’Université Gaston Berger (UGB) depuis une décennie!
Partout dans ses conclaves interminables de cols blancs, le gouvernement affiche fièrement une volonté ferme de résorber le chômage, comme si cela pouvait être vrai, de résoudre sensiblement la question de l’emploi. Sans vraiment avouer qu’il s’agit en réalité pour lui et ses partenaires d’apprendre, ou plutôt d’inciter les aspirants, à trouver eux-mêmes les voies et moyens de se « caser » de leur propre chef. On nous parle de trouver des « niches » d’emplois, comme si le marché de l’emploi que le statisticien ne voit qu’à travers ses chiffres souvent fabriqués est visible et accessible au regard non averti des aspirants. Implicitement, le présupposé est que l’emploi n’est plus à créer, le marché plus à réguler et à assainir, mais qu’ils sont tous les deux à trouver dans le décor du capitalisme d’Etat, d’une manière assez semblable à celle du promeneur qui ramasse des cailloux dans la nature béate.
Aujourd’hui il est devenu courant de voir légitimer les usages incorrects des langues étrangères chez nous, plus particulièrement les langues coloniales. Bien qu’elles soient devenues la bouche et l’oreille de l’autorité qui ne s’impose plus la pudeur de la solennité avec des usages cataclysmiques, les langues étrangères, rappelons-le officielles, comme le français sont mises en dérision dans ce qui s’apparente plutôt à de la déviance culturelle. Pis, cette décadence qui est d’abord le fait de la politique trouve justification au nom d’une autre politique : la décolonisation. Au point que l’on en oublie la part importante, la plus importante d’ailleurs, de la déliquescence de nos systèmes éducatifs et l’échec de nos dirigeants politiques et de nos bureaucraties.
Chaque Président qui accède au pouvoir par la volonté de la minorité de la population qui vote met en place son plan. Souvent ce sont des plans de quinze à trente ans, si jamais une ambition et une vision d’un seu...
Le 21 février 2014 je postais depuis mon blog un texte que j’avais intitulé « la dictature du bréviaire ». Un texte que je voulais court pour ne pas faire fuir mes habituels lecteurs. Pourtant, ils ont été peu nombreux à laisser des commentaires. Le titre du texte est sans doute une des causes de cette réserve inhabituelle de mon fidèle lectorat. Pour aller vite, il s’agissait à travers ce titre métaphorique de focaliser la compréhension a priori du lecteur sur le caractère liturgique, mystificateur et non moins inscrit dans le temps de l’enferment de l’imagination politique dans la culture d’extraversion de nos dirigeants. Il me paraissait important de suggérer à quel point la répétition presque incantatoire des discours et des modèles politiques importés était devenue un rituel dictatorial contre notre peuple. Une liturgie érigée en instrument politique?
Leadership, leadership… la clameur nouvelle! Comme d’autres apories d’une modernité décevable, c’est la nouvelle « glosse » de la classe technocratique africaine et africaniste pour dissimuler son échec multiséculaire. « L’Afrique a besoin d’un nouveau leadership », clamerait-on! Sans un tel leadership, ce Godo qu’il ne voit jamais pointer à l’horizon, sauf dans les rêves des plus incrédules et dans l’optimisme pudique des désespérés, elle serait perdue pour de bon. On aurait grand besoin d’une nouvelle génération de leaders ; comme si l’histoire était devenue incapable de placer ses charnières entre ses séquences par lesquelles nous l’expérimentons. Comme si l’échec devait rester une éternelle transition vers lui-même. Comme si la mouvance du réel n’était qu’un surplace au cœur de l’irréel.
« Nous avons réussi à vous coloniser parce que nous avons amené nos savoirs contre les vôtres. Au Sénégal, d’une certaine manière, vous avez réussi à vous décoloniser avec plus de succès que les autres parce que vos élites étaient devenues aussi avides de nos savoirs que nous ne l’étions à un moment donné ».
Lorsqu’il publiait son Misères de la philosophie en 1847, le penseur allemand Karl Marx ne faisait pas qu’administrer une critique en règle à la Philosophie de la Misère publiée l’année précédente par le philosophe français Pierre-Joseph Proudhon.
Qui en doutait encore? Nous apercevons enfin ce qui se tramait depuis longtemps derrière les erreurs répétées et les moult blocages supposés sur la traque des biens supposés mal acquis. Il n’y avait pas plus suspect à prétexter de la part de l’instance judiciaire. Nous l’avons enfin : un nouveau code pénal qui abolit le principe du renversement de la charge à preuve, le seul moyen qu’il y a dans un pays en proie au sous-développement, à la crise sociale et à la corruption[1], pour sortir de l’ornière. Eh bien ce code aurait été proposé par les 25 membres de la commission de refonte totale du code pénal, et le génie de la conspiration voudrait que la preuve de l’enrichissement illicite incombe désormais à celui qui poursuit, c’est-à-dire à un gouvernement de mains sales qui n’a aucun crédit pour réclamer la collaboration des ses vis-à-vis d’outre désert et d’outre atlantique, là où sont ensevelis les butins des gladiateurs et des templiers.
« Il est de loin préférable pour l’homme de se montrer violent, si tant est que la violence est innée en lui, plutôt que d’user du prétexte de la non violence pour couvrir son impotence. La violence est toujours préférable à l’impotence. Il y a de l’espoir qu’un homme violent devienne non violent un jour. Mais il n’y a aucun espoir qu’un impotent le devienne ». Mahatma Gandhi[1]
La démocratie est connue pour être le meilleur système de gouvernement. D’un coté, cette assertion mythique est devenue problématique eu égard au passé assez long des sociétés modernes et des peuples qui s’étaient fait le devoir et la raison pratique de démocratiser leurs institutions et leur vie politique au nom d’un certain idéal humaniste et moderniste, et parfois en Afrique sur fond de panafricanisme et de relativisme culturel. De l’autre, penser et s’adonner à la construction sociale de la démocratie dans l’espace politique national n’implique pas de supposer péremptoirement que l’histoire a déjà pris fin ou que le futur sera démocratique ou ne sera pas. S’il est vrai qu’une bonne partie du futur de notre société sera régie et façonnée par la pratique démocratique et la défense des valeurs, principes et institutions qui vont avec, il faut bien s’arrêter un moment sur cette question précise : pourquoi pense-t-on, ou persiste-t-on, à penser que la démocratie est déjà complètement acquise et que le futur sera probablement démocratique, alors que paradoxalement on a l’impression que notre passé s’est écoulé sans contenir en lui une véritable pensée de la démocratie ? Pourquoi se refuse-t-on à voir qu’il ne s’était agi que de sacrifier à un rituel régulier du vote et ou de la sanction d’un pouvoir au profit d’une opposition, comme si les deux constituaient toujours les forces également réparties de la démocratie sénégalaise ? L’erreur a trop perduré ; pendant longtemps l’opium a subjugué la critique sociale ; elle a suffisamment abusé la clinique universelle de la démocratisation.